Lise Bissonnette, ancienne journaliste, résidante d’Ahuntsic-Cartierville. (Photo : François Robert-Durand, JDV)

Mi-janvier paraissait un livre d’entretiens avec l’Ahuntsicoise Lise Bissonnette, signé Pascale Ryan, aux Éditions Boréal. Le Journal des voisins (JDV) a rencontré l’ancienne présidente-directrice générale de la Grande Bibliothèque du Québec le 26 janvier au Mamie Clafoutis de Cartierville.

Le livre est structuré de manière chronologique et commence par des souvenirs d’enfance et de jeune étudiante de Mme Bissonnette, qui est originaire d’une famille commerçante de Rouyn-Noranda. Dès les premières phrases, le ton est donné : cette vision critique de la société québécoise se retrouve constamment au fil de ces entretiens qui se lisent avec fascination.

Le JDV a retenu notamment ces passages où Lise Bissonnette dénonce une mode sociohistorienne des dernières années : la période duplessiste, connue aussi sous le vocable de Grande noirceur, ne serait pas aussi noire que ça; qu’il y avait tout de même de la modernité sous Duplessis. Mme Bissonnette en est scandalisée.

« Tous les peuples se forgent une image romancée, plutôt positive de leur histoire, dit-elle. Il faut faire preuve de nuance. On a tellement parlé de la Révolution tranquille que les plus jeunes remettent en question l’historiographie de la période duplessiste, très autoritaire, dont la vie sociale était dominée par l’église. Ils affirment que le bilan n’était pas si mauvais. Ils considèrent que [l’ex-premier ministre du Québec Maurice] Duplessis s’est tenu debout devant Ottawa et que l’église s’occupait des écoles et des hôpitaux. »

Pour Lise Bissonnette, ces « réformateurs » de l’histoire passent à côté de l’essentiel. « Nous vivions une forme d’ignorance collective généralisée, dit-elle. Il a fallu attendre 1965 pour qu’on implante des écoles secondaires hors des grandes villes. On n’a pas juste sacrifié le potentiel de tout un peuple : les Québécois avaient une existence sans envergure. Au lieu de parler de Grande noirceur, on aurait dû parler de vie beige. À l’extrême. »

 

 

Mme Bissonnette considère que notre folklore et notre culture ne retiennent que ces personnages qui se sont tenus debout et ont persévéré, malgré les obstacles. « Une minorité de gens résistaient, ajoute-t-elle. Mais nos romanciers et cinéastes ne se sont jamais intéressés aux analphabètes, qui formaient l’immense majorité de la population, qui se pliaient aux diktats sociaux et vivaient dans l’ignorance. »

Elle fait ce constat sans aucun mépris, sachant que ses propres parents, bien qu’ils soient instruits, n’avaient pas accès à la culture, même si son père lisait le journal Le Soleil arrivé par le train chaque matin.

Révolution tranquille

Puis, les années 1960 surviennent. « La Révolution tranquille était une vraie révolution », dit-elle. Puisque l’avenir académique était bouché pour les jeunes filles au-delà du secondaire en Abitibi, ses parents l’expédient vers l’École Normale de Hull, comme pensionnaire. C’était une des rares institutions d’enseignement supérieur accueillant des filles. 

« J’y ai appris un nombre incroyable d’insignifiances, révèle-t-elle. Mais, alors que le Québec se transforme, j’ai eu la chance de m’impliquer dans la Presse étudiante nationale, qui mute d’une institution folklorique vers un véritable lieu d’échanges intellectuels et culturels. »

Elle affirme que les jeunes se prenaient au sérieux et Le Devoir représentait, à leurs yeux, le summum du modèle de la presse intellectuelle d’influence. « J’étais plutôt discrète, souvent la seule femme du groupe, avance-t-elle. Si on leur avait dit qu’un jour on me nommerait directrice du Devoir, ils y auraient vu le fantasme du siècle… »

Impasse québécoise

On dit souvent qu’après les grands débats constitutionnels et nationalistes des années 1960 jusqu’aux années 1990, le Québec se trouve dans une impasse politique. Comme journaliste, Lise Bissonnette se considère privilégiée d’avoir vécu cette période exaltante.

« Le Québec et le Canada, dans la réalité, c’est déjà deux pays qui vivent dans une forme de coexistence pacifique, constate-t-elle. Cette coexistence, où chacun ignore l’autre, va en s’approfondissant. Avant, un tas d’intellectuels du Canada anglais s’intéressaient au Québec. Aujourd’hui, il ne s’écrit plus un livre sur nous dans le reste du pays. »

Que pense-t-elle du débat sur le multiculturalisme cher au Canada anglais, face à la laïcité, chère au Québec? « Ils ont bien le droit d’avoir leur modèle et je ne les traite pas de woke pour autant! C’est ainsi qu’ils voient le monde. Mais ce serait bien qu’ils acceptent qu’on ne pense pas comme eux. Chacun doit vivre selon les modèles qui leur conviennent », commente-t-elle.

Lise Bissonnette considère que la voie qu’a choisie le Québec est issue en droite ligne de la liberté chèrement acquise lors de la Révolution tranquille. Un Québec qui s’est libéré de la soumission du passé et qui jouit d’une immense liberté. 

Le monde actuel

Elle observe qu’aujourd’hui, les Québécois semblent dépourvus de projets qui structurent la société. Et la lutte aux GES? Elle intéresse les jeunes générations. Mais ce dossier est, pour beaucoup d’entre eux, anxiogène. 

« J’entends souvent des jeunes affirmer ne pas vouloir faire d’enfant en regard de la catastrophe écologique appréhendée, dit-elle. Je ne juge pas. J’observe. Je constate aussi que la création artistique, les livres, les films, la télé, sont marqués par une notion généralisée de malheur, par beaucoup d’introspection individuelle. On décortique des drames familiaux ou personnels. Comme si ces considérations nous empêchaient de rêver collectivement. Quand j’ai inauguré la Grande bibliothèque du Québec, ça faisait 20 ans que nous n’avions pas lancé d’institution publique d’envergure. J’y vois la marque d’une société à l’arrêt. »

Les Québécois ne sont pas les seuls dans cette situation. Mme Bissonnette retient l’exemple américain : « Voilà un peuple qui traverse très mal notre époque. »

Ahuntsic

Dans le livre, Lise Bissonnette raconte comment elle aboutit, pratiquement par accident, dans Ahuntsic, en achetant, sur un coup de tête avec son conjoint, récemment décédé, une minuscule maison patrimoniale du boulevard Gouin.

« Je me suis installée dans le quartier en 1979, après avoir vu une annonce classée, dit-elle. Nous nous sommes présentés à l’improviste et la propriétaire n’y était pas. J’ai fait le tour de la maison à pied. Il y avait de grands arbres, une vue sur la rivière, c’était magnifique. Le voisin d’en face, Gérard Vaillancourt, qui était l’ex-cordonnier du village, m’avait interpellée de son balcon. »

Ce dernier lui révèle que la propriétaire était la dernière descendante de la famille ayant construit la maison, en 1811. Trois jours plus tard, ils étaient propriétaires. Un peu après, ils commandent un agrandissement à Pierre Thibault, bien avant qu’il soit le starchitecte qu’on connaît aujourd’hui.

Dans le livre, Lise Bissonnette raconte, de manière émouvante, les recherches effectuées aux Archives nationales sur les générations successives de propriétaires qui l’avaient précédée. Essentiellement des gens pauvres, illettrés et très isolés durant le premier siècle d’existence de cette maison minuscule, où les parents et les bébés couchaient près du poêle au rez-de-chaussée, et où les enfants étaient cordés à l’étage. Le mari partait toute la journée sur des chantiers. La femme restait entre ses quatre murs.

« Je pensais à la vie de cette femme, qui demeurait dans une maison minuscule, dans le dénuement complet, isolée, car le village de Sault-au-Récollet était à plusieurs kilomètres, dit-elle. Personne, aujourd’hui, n’écrit sur cette réalité. Imaginez le gouffre entre son existence et la nôtre. »

Amante du quartier

Lise Bissonnette adore vivre dans Ahuntsic. Elle apprécie la verdure, la rivière, le caractère urbain d’un quartier qu’elle dit plus avantageux que ceux à proximité du mont Royal. « Avec la rue Fleury, Ahuntsic, c’est comme si on habitait dans certaines villes d’Europe, dit-elle. J’aime me promener dans ce quartier qui s’améliore constamment, avec de nouveaux commerces. Même si nous ne sommes pas collés au centre-ville, on demeure Montréalais. »

Lise Bissonnette s’inquiète toutefois de la manière dont on protège le patrimoine dans l’arrondissement. Elle retient les articles du JDV portant sur quelques projets qui se sont multipliés ces dernières années. 

« On continue à bâtir des édifices désincarnés en brique synthétique, des horreurs de faux châteaux qui détonnent dans l’environnement, dit-elle. C’est indigne d’un pays civilisé. Il a fallu deux décennies avant qu’on puisse conserver le poste de pompiers de Bordeaux, le seul immeuble civique de style beaux-arts dans notre coin de la ville. Et on en a fait des condos. On dirait qu’on ne s’intéresse pas à cette question à l’arrondissement. »



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Dansereau Gérard
Dansereau Gérard
1 Année

Merci beaucoup pour cette entrevue avec Mme Bissonnette.
C’est une personne remarquable que j’ai toujours admiré pour son authenticité et sa passion .

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