Robert Laplante, directeur général de l’IRÉC, situé à Ahuntsic-Cartierville. Photo : JDV / Nora Azouz

Le projet de loi n° 69 (PL69), Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques, déposé à l’Assemblée nationale du Québec le 6 juin 2024, va être discuté cet automne. La loi vise à accélérer et rendre possible l’atteinte de l’objectif de carboneutralité en 2050. L’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), organisme à caractère scientifique situé au collège de Bois-de-Boulogne, à Ahuntsic-Cartierville, y décèle «une régression historique». Entrevue avec Robert Laplante, directeur général de l’IRÉC.

Quel regard porte l’IRÉC sur le PL69, en discussion cet automne, et sur le Plan d’action 2035 – Vers un Québec décarboné et prospère d’Hydro-Québec?
Les thématiques soulevées par le Plan d’action d’Hydro-Québec et le PL69 nécessiteraient un très large débat public. Ces deux initiatives touchent à trois piliers du Québec. D’abord, elles remettent radicalement en question la vocation d’Hydro-Québec. Ensuite, elles bouleversent le modèle de développement économique du Québec et, enfin, les mesures prévues sont aux antipodes de ce que devrait représenter une transition énergétique en faveur des Québécois.

Pouvez-vous décrire les changements notables découlant de cette loi?
D’une part, les missions de service public d’Hydro-Québec risquent d’être détournées pour glisser subtilement vers celles d’une entreprise de production commerciale d’énergie. En 1962, les Québécois ont plébiscité le gouvernement pour la nationalisation de l’électricité et souhaitaient ainsi reprendre le contrôle d’une ressource considérée comme publique.
D’autre part, une partie de la richesse publique est soustraite au profit du secteur privé. Cela conduit inévitablement à un appauvrissement collectif. L’ouverture au privé va s’accélérer et va orienter des sommes colossales vers les actionnaires plutôt que vers le Trésor public.

Quelles seront les conséquences sur l’économie québécoise selon vous?
Le modèle économique ainsi promu par le Plan d’action et le PL69 s’apparente à un développement hétérogène qui dépend d’une demande induite par l’extérieur alors que le modèle actuel d’Hydro-Québec est autocentré.
En clair [jusqu’à présent], les Québécois avaient choisi collectivement d’utiliser cette machine de production et cette ressource hydroélectrique et éolienne qu’est Hydro-Québec de façon contrôlée à partir des besoins et des intérêts du Québec. L’élargissement au privé que provoquent ces deux initiatives consacre la rupture du monopole de production et de distribution d’Hydro-Québec.

L’an dernier, les PME ont subi une augmentation de tarif de l’électricité de 5,1 % et une autre de 3,9 % est prévue au 1er avril 2025. Quant aux particuliers, ils verront leur facture augmenter de 3 %. D’un point de vue économique, est-il possible de maintenir ce plafond tarifaire?
Ce débat sur la tarification de l’électricité est un débat de diversion. Il n’est pas sans intérêt pour les consommateurs, mais il ne porte pas sur les choix fondamentaux opérés par le gouvernement. Cette façon de présenter la tarification plafonnée à 3 % pour une période limitée, c’est une illusion. Pour financer ce gel, le gouvernement du Québec s’est engagé à compenser le manque à gagner d’Hydro-Québec par des fonds que lui versera le ministère des Finances. Certes, la tarification ne bougera pas, mais il en coûtera plus aux contribuables.

Pourquoi le débat est-il mal posé?
L’essentiel n’est pas dans l’augmentation tarifaire, mais bien dans le fait que les PME, qui sont au fondement même du modèle économique québécois, ne vont plus figurer au cœur de l’économie du Québec… Elles pourront “se servir” après que les multinationales étrangères auront “pigé” dans l’assiette au beurre. Le modèle proposé repose sur une demande énergétique qui n’est pas justifiée par une croissance interne provenant de la société québécoise elle-même. Il s’agit plutôt de répondre aux besoins des grandes entreprises venues de partout sur la planète et désespérément à la recherche d’énergies pas chères. Le Québec va devenir un “buffet ouvert”. Ce qui motivera la croissance du Québec, ce seront les objectifs propres des entreprises étrangères. Un vrai changement!

Quelle voie serait porteuse pour une transition énergétique réussie au Québec selon vous?
Dans le PL69, aucun modèle de transition énergétique n’est proposé. Il n’est question ni de cibles de réduction énergétique dans les divers domaines de l’économie, ni des moyens à déployer.
Pourtant, Hydro-Québec devrait être le navire amiral de la transition énergétique en reprenant le contrôle de la production hydroélectrique et éolienne. La politique de transition, elle, doit rester l’affaire du gouvernement, un choix démocratique.

Quelles pratiques vertueuses pourraient être favorisées?
Des partenariats sont proposés pour le développement éolien entre les municipalités et des promoteurs. Dans ce cas précis, un partage des redevances serait plus équitable. Ces dernières reposeraient sur la totalité de la richesse produite et non pas sur la fraction laissée par les promoteurs. Aussi, autre exemple, le développement éolien peut se faire en privilégiant des relations plus justes et égalitaires avec les communautés et les peuples autochtones vivant où ces éoliennes sont installées.
De plus, le PL69 autorise Hydro-Québec à vendre des barrages. Les promoteurs, dont l’objectif premier est le profit et c’est tout à fait légitime, n’auront pas à se soucier de la place que ces équipements doivent tenir dans un système énergétique local. La transition exige pourtant une gestion territoriale de tout l’écosystème énergétique. La privatisation des équipements empêchera une gestion cohérente de l’ensemble. À cet égard, le potentiel géothermique est immense et pourrait favoriser la création de districts énergétiques pratiquement autosuffisants.

Quel modèle privilégier?
Afin de mener une politique efficace au Québec en matière de transition énergétique, il est nécessaire de viser la sobriété énergétique, de mener des programmes d’efficacité énergétique et de mettre en valeur tout le portefeuille énergétique. Si Hydro-Québec doit rester concentrée sur l’hydroélectricité et l’éolien, l’énorme potentiel de production d’énergies renouvelables que constituent la biomasse, la géothermie, le solaire, doit être fructifié. Une politique de transition énergétique digne de ce nom doit valoriser et optimiser toutes les ressources énergétiques renouvelables.

Comment la transition énergétique va-t-elle s’opérer selon vous?
Les investissements annoncés dans le Plan d’action d’Hydro-Québec sont colossaux [de 155 à 185 milliards de $] et ne sont pas forcément justifiés par la demande interne. Pourtant, il va falloir les financer et cela va peser sur les marges de manœuvre financières du gouvernement du Québec et sur Hydro-Québec. Pourquoi s’infliger une telle pression alors qu’il est possible de faire autrement?
Ces deux initiatives placent le Québec dans une logique de dépendance. C’est une régression historique, car le Québec avait fait la nationalisation de l’hydroélectricité précisément pour s’affranchir de la domination des grandes sociétés qui tenaient dans un étau l’économie du Québec.



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