Patrick Charbonneau, assistant professeur au département de chimie de l’Université Duke, aux États-Unis. (Photo: Duke University)

Le Dr Patrick Charbonneau, professeur et chercheur en chimie et physique à la prestigieuse Université de Duke, est né et a grandi à Ahuntsic. Il fait partie du cercle restreint des chercheurs qui gravitent autour de Giorgio Parisi, un Italien qui vient de remporter le prix Nobel de physique.

M. Parisi est récipiendaire du Nobel de physique avec Klaus Hasselman et Syukuro Manabe. Ces derniers, professeurs à l’Institut Max Planck pour la Météorologie de Hambourg et à l’Université Princeton, au New Jersey, ont été récompensés pour leurs travaux sur la modélisation du climat et leur exactitude à prédire le réchauffement climatique. Parisi, lui, a été récompensé pour ses travaux sur l’interaction du désordre et des fluctuations dans les systèmes physiques à l’échelle atomique ou planétaire.

Bref, les colauréats ont travaillé à expliquer les systèmes complexes. C’est exactement le champ d’études dans lequel évolue Patrick Charbonneau, qui se spécialise, avec sa petite équipe de cinq étudiants au doctorat et postdoctorat, sur les théories entourant les « matériaux mous », notamment le verre, qu’il décrit comme des « solides désordonnés ».

Comme dans un mariage

Les profanes se demandent pourquoi un chercheur s’intéresse-t-il au verre, un matériau que les humains connaissent bien et travaillent depuis des millénaires. C’est que nos connaissances sont plus limitées qu’on ne le croit. Et les travaux de Parisi ont permis d’en apprendre davantage, parce qu’ils ouvrent la porte à la compréhension de différentes contraintes de la matière, qui sont en compétition les unes avec les autres.

« Pour illustrer le phénomène, prenons l’organisation d’un mariage, illustre Patrick Charbonneau. On sait qu’on peut faire s’asseoir certaines personnes à la même table, et ils vont bien s’entendre. Mais pour ne pas gâcher la noce, vous devinez qu’il faut aussi placer certaines personnes loin les unes des autres. Dans certains cas, les contraintes sont tellement grandes que le party est impossible à organiser. Il en va de même en physique. Les travaux de Giorgio Parisi nous aident à comprendre ce qui est possible et impossible, autant dans le monde virtuel que dans la fabrication d’objets. »

Giorgio Parisi a commencé ses recherches dans les années 1970, mais les applications pour le verre remontent à la dernière décennie, explique le prof Charbonneau.

« Elles nous sont utiles pour comprendre son comportement à très haute ou très basse température », dit-il.

Par exemple, lorsque l’on refroidit de l’eau sous zéro, elle devient de la glace. Ses molécules passent d’un statut désordonné à celui d’un réseau cristallin. Mais quand on chauffe le verre jusqu’à ce qu’il devienne liquide, ses molécules ne changent pas de forme. Et la science n’a pas encore expliqué le phénomène. M. Charbonneau et son équipe y travaillent.

«  J’ai un oncle qui installe des portes et fenêtres de verre et, chaque fois qu’il me croise, il me taquine parce qu’il ne comprend pas ce que je fais », lance le professeur Charbonneau.

Ce dernier offre un autre exemple pour mieux décrire son travail : le sucre à la crème. Car le sympathique professeur donne aussi un cours sur la science de la cuisine…

« Mettons qu’on chauffe à 118°C deux chaudrons avec les mêmes ingrédients : du sirop d’érable, un peu de beurre et de la crème, reprend-il. On laisse refroidir un des chaudrons, et ça donne du caramel. Pour l’autre, lorsque ça refroidit, on bat le contenu avec un fouet : ça donne du sucre à la crème, parce qu’on a partiellement cristallisé le mélange. On a deux matériaux qui ont les mêmes composants, mais des comportements différents et ne goûtent pas la même chose… Pourquoi? Par analogie, je cherche des réponses similaires avec le verre. »

Fils d’Ahuntsic

Patrick Charbonneau a grandi au cœur d’Ahuntsic, à deux pas du domicile de la rédactrice en chef de ce journal (il connaît très bien Christiane Dupont). (Ses parents habitent d’ailleurs toujours dans Ahuntsic-Cartierville).

Patrick a fait le premier cycle du primaire à l’école Saint-André Apôtre, puis il a joint les Petits chanteurs du Mont-Royal, au sein desquels il a terminé son primaire, puis le secondaire, mais au Collège Notre-Dame (situé en face, près de l’oratoire Saint-Joseph).

Puis, il a fait un DEC intégré au Collège du Bois-de-Boulogne et un bac en chimie à l’Université McGill. Il a ensuite pris le chemin de Boston où il a fait un doctorat à Harvard en chimie et physique.

Il décrit Cambridge, la banlieue immédiate de Boston où se trouvent Harvard et le Massachussetts Institute of Technology (MIT), comme un endroit hors norme, unique au monde, visité par les plus grands cerveaux de la planète.

« Boston est une très belle ville, c’est le centre du monde intellectuel dans tous les domaines, y compris politique, mais elle est un peu ennuyeuse pour un jeune homme de 23 ans », ajoute-t-il en souriant.

Il y a déposé ses valises dix jours avant les événements du 11 septembre 2001 et a vécu de l’intérieur l’effervescence entourant ces événements, qui ont changé en profondeur la société américaine. Il décrit son expérience comme troublante et fascinante à la fois.

Il travaille à l’Université de Duke depuis 13 ans, dans un milieu très ouvert et plutôt à gauche intellectuellement; mais Duke est située en Caroline du Nord, un état conservateur, qui fut autrefois esclavagiste. Ce qui lui donne une perspective unique sur la société américaine.

Les États-Unis vus de l’intérieur

Le portrait que l’on a des États-Unis, depuis le Québec, est décourageant, voir de plus en plus inquiétant. Patrick Charbonneau apporte des nuances.

« Quand j’écoute les médias canadiens, je souris devant le manque de subtilité lorsqu’il est question des États-Unis, dit-il. Car, c’est mal connu à l’étranger, mais la société américaine est hétérogène. Certes, elle est de plus en plus tendue et polarisée, et il y a une purification idéologique des partis politiques, qui est en marche depuis des décennies. Ce n’est pas plaisant et ça nous affecte parfois au quotidien. »

M. Charbonneau explique, par exemple, que l’enseignement de l’histoire en Caroline du Nord est marqué par les débats entourant le racisme systémique. La majorité conservatrice, au pouvoir, veut en effacer les traces historiques, mais les inégalités raciales sont toujours présentes dans la tête des gens et dans le tissu socio-économique…

Dans certains milieux, on estime que l’empire américain vit une profonde crise de valeurs et qu’il est désormais sur son déclin.

« Les Américains sont 300 millions sur une planète de sept milliards d’humains, ils ne pourront pas toujours dominer le monde, analyste-t-il. Mais le déclin n’est pas assuré. Car une des forces de la société américaine réside dans la mobilité interne de sa population. Les Américains votent avec leurs pieds. Si ça ne marche pas à leur goût, ils vont s’installer ailleurs sur le territoire. Ça force des réajustements, mais qui ne sont souvent perceptibles qu’à long terme. »

Va-t-il célébrer le Nobel avec son collègue Parisi prochainement?

« On va se revoir pour la première fois depuis deux ans à Venise à la mi-novembre, pour une réunion de travail, répond Patrick Charbonneau. On a prévu un souper entre amis. Et c’est Giorgio qui va le préparer. On va bien manger! »

Il veut en profiter pour l’interviewer pour un projet d’histoire des sciences sur la genèse des idées de Giorgio Parisi et ses collaborateurs précurseurs, intitulé « L’histoire de la brisure des répliques en physique », pour le Centre d’archives en philosophie, histoire et édition des sciences, une institution française prestigieuse.



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