Policiers lors de la sortie pour rassurer les citoyens du Sault-au-Récollet suite au meurtre du dépanneur de Lille (Photo : jdv – Philippe Rachiele)

« Coups de feu dans Ahuntsic », relate La Presse le 3 janvier. « Un jeune homme atteint par balle dans le quartier Ahuntsic », titre Radio-Canada le 2 août. «Crimes violents dans Ahuntsic-Cartierville: nouvelle ronde de porte-à-porte pour les policiers », rapporte le Journal de Montréal le 1er octobre. Homme poignardé boulevard Henri-Bourassa et de Lille, a titré pour sa part le JDV, le 6 novembre dernier. À en lire les grands titres des médias, l’insécurité règne dans le Nord de l’arrondissement, où des règlements de comptes et des rivalités entre les gangs de rues sèment la terreur. Journaldesvoisins.com a creusé la question : y a-t-il une vague de violence dans l’arrondissement, et si oui, pourquoi?

L’intervenant communautaire Kenny Thomas, connait bien les jeunes du Nord de l’Île. Depuis une quinzaine d’années, il été tour à tour travailleur de rue dans Villeray, intervenant de milieu à Saint-Léonard, travailleur au Café-Jeunesse multiculturel de Montréal-Nord, intervenant à la Maison Des Jeunes d’Ahuntsic, intervenant en persévérance scolaire à Saint-Michel et coordonnateur clinique à L’Entre-Maison, un organisme qui intervient auprès des habitations à loyer modique (HLM) du quartier Ahuntsic.

Plus de violence qu’à l’ordinaire?

Selon lui, la pandémie certainement a mis les gens « à cran », mais elle n’a pas entraîné une augmentation notable de la violence ou des conflits entre les jeunes.

« Il n’y a pas eu plus d’altercations ou de règlements de compte», répond Kenny Thomas quand on lui demande s’il a perçu, sur le terrain, une hausse des incidents violents depuis le début de la pandémie.

« Les jeunes adultes, je pense qu’ils sont plus dans une dynamique de garder la paix. Ils ne veulent pas nécessairement plus d’embrouilles, que ce soit plus compliqué que ça l’est déjà », dit-il.

 

Bien entendu, il a eu vent des incidents rapportés au cours des derniers mois.

« Je sais qu’il y a eu des coups de feu. Il y en a eu à Montréal-Nord. Des coups de feu, il y en a eu dans les HLM aussi », relate-t-il en précisant qu’il n’y a pas forcément eu tellement plus d’événements violents qu’à l’habitude.

Pas de portrait précis pour 2020

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) n’a pas été en mesure de dire combien d’incidents ont été rapportés cette année.

À la division des communications du SPVM, au bureau de relations avec les médias, on se contente de confirmer que « plusieurs enquêtes sont en cours » pour déterminer si des homicides ou des tentatives de meurtre survenue cette année peuvent être attribuables à des activités ou à des règlements de comptes reliés aux guerres de gangs.

« À titre informatif, la criminalité est un phénomène qui oscillent (sic). Expliquer le pourquoi n’appartient pas à notre champs (sic) de compétence, mais plutôt à la criminologie », indique un laconique chargé de communications.

Le SPVM n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue du JDV qui a souhaité s’entretenir avec des agents des postes de quartier (PDQ) de Bordeaux-Cartierville et d’Ahuntsic ou avec des enquêteurs impliqués dans l’escouade formée cette année pour lutter contre la violence armée.

On nous a plutôt référé à un communiqué annonçant la formation de l’équipe Quiétude, mise sur pied à la suite d’une série d’événements violents impliquant des armes à feu sur le territoire montréalais.

« Lors des récentes opérations de sécurisation des quartiers, les Montréalais.es ont aussi réitéré leur désir de vivre dans une ville où la violence n’a pas sa place. Nos policiers ont entendu leurs préoccupations et nous renouvelons ici notre engagement à tout mettre en œuvre afin que Montréal demeure une métropole sécuritaire et où il fait bon vivre pour tous », peut-on lire dans le communiqué daté du 15 octobre.

Le SPVM a réitéré lors d’une conférence de presse tenue le 17 décembre vouloir procéder à la mise sur pied d’ici le début de l’année d’une équipe dédiée à lutter contre le trafic d’armes à feu (ELTA). Formée d’une vingtaine de personnes, cette nouvelle escouade a été créée en réponse à une « hausse atypique » des événements violents, dit le chef du SPVM, Sylvain Caron.

Le SPVM n’ayant pas été en mesure d’indiquer combien d’incidents sont survenus en 2020, il est cependant difficile de dire si cette année a été le théâtre d’une violence extraordinaire ou si les incidents violents rapportés ces derniers mois s’inscrivent dans la continuité d’un phénomène implanté de longue date.

Un problème de longue date

 Il faut savoir que le SPVM cherche à endiguer la violence associée aux gangs de rue depuis une bonne vingtaine d’années.

Parmi les orientations stratégiques adoptées le 14 novembre 2000 par la Commission de la sécurité publique on retrouvait en effet :

« Combattre et prévenir la criminalité en tenant particulièrement compte de la criminalité de violence, de la criminalité chez les jeunes et les gangs de rue de même que le crime organisé », peut-on lire dans le rapport annuel de l’an 2000 du Service de police de la communauté urbaine de Montréal (SPCUM).

Cette année-là, l’ancien corps de police (qui est devenu le SPVM dans la foulée des fusions municipales de 2001) rapportait 14 homicides et 46 tentatives de meurtre sur le territoire du centre opérationnel (CO) Nord qui regroupe notamment les PDQ de Montréal-Nord (PDQ 39), Ahuntsic (PDQ 27), Bordeaux-Cartierville (PDQ 10) et Saint-Laurent (PDQ7).

De fait, la question des gangs de rue revient régulièrement dans les rapports annuels du SPVM, au moins depuis 2003. On y apprend notamment que le PDQ 27 (Ahuntsic) a fait partie cette année-là de la mise sur pied du projet Azimut qui « visait à contrer la criminalité des gangs de rue sur le plan de la vente de stupéfiants, de la prostitution juvénile, des incivilités et, en contrepartie, à rehausser le sentiment de sécurité des usagers du métro » aux stations Henri-Bourassa et Saint-Michel.

En 2004, alors qu’il rapportait 11 règlements de comptes reliés aux guerres de gangs dans son rapport annuel, le SPVM dit s’être « attaqué aux gangs de rue dans la région Nord en misant sur la répression et la prévention » à travers le Projet Noyau.

Les statistiques sur les crimes contre la personne à Montréal, qui sont compilées par PDQ depuis 2004, montrent qu’un pic de crimes violents est survenu cette année-là, avec 12 homicides et 44 tentatives de meurtre sur le territoire du CO Nord, dont deux meurtres à Ahuntsic et une douzaine de tentatives dans Ahuntsic-Cartierville.

Le JDV a compilé les statistiques annuelles de 2004-2005, de 2010, puis celles de 2015 à 2019 pour être en mesure d’évaluer comment ont évolué les crimes violents dans Ahunstic-Cartierville.

Une analyse de ces données montre que le nombre d’homicides et de tentatives de meurtre avait diminué de façon importante en 2010 comparativement à 2005, pour ensuite remonter sensiblement jusqu’en 2019. En moyenne, dans les cinq dernières années, il y a eu deux homicides et cinq tentatives de meurtre dans l’arrondissement. Ces statistiques font écho à ce qu’on peut lire dans les rapports annuels du SPVM des 15 dernières années.

En 2005, le SPVM faisait état de « projets tenus dans différents secteurs de l’Île de Montréal [qui] ont permis tantôt d’intervenir sur des activités reliées aux stupéfiants et impliquant des membres de gangs de rue, tantôt de contrer les activités de gangs de rue émergents (gangs moins structurés et plus improvisés) ». Deux ans plus tard, le corps policier rapportait une « accalmie du phénomène des gangs de rue après un début d’année mouvementé ».

La question des gangs de rue refait ensuite surface dans le rapport annuel 2009, qui consacre un long passage à la situation :

« Les gangs de rue émergents s’organisent, ce qui entraîne beaucoup de travail pour les policiers et une approche de plus en plus spécialisée. Ces gangs sont impliqués dans plusieurs événements de violence dans les lieux publics et ils n’hésitent pas à utiliser des armes, de façon spontanée et impulsive, lorsqu’ils commettent leurs crimes, ce qui a des conséquences directes sur le sentiment de sécurité des citoyens. Ils commettent plusieurs vols qualifiés, dans les stations de métro et près des écoles; le vol de baladeurs numériques (iPod) est particulièrement à la mode. Les membres des gangs émergents ont maintenant un plus grand accès à des armes de fort calibre et de meilleure qualité, qu’ils ont les moyens financiers de s’offrir. Ils sont également davantage utilisés par les membres de gangs de rue majeurs, principalement comme hommes de main. Les groupes émergents démontrent donc un meilleur niveau d’organisation qu’auparavant.»

Plus récemment, dans son rapport annuel 2017, le SPVM faisait état du succès du projet Mazout, une opération importante ayant mobilisé des policiers de plusieurs unités d’enquête qui « a permis d’élucider une vague de crimes violents liés aux gangs de rue».

Quand on soumet à Kenny Thomas la longue liste des projet, escouades et autres interventions du SPVM au fil des ans, il ne se montre pas particulièrement impressionné.

« Qu’est-ce que ça vaut, si tu ne connais pas les gens? », soupire-t-il.

Il souligne qu’une poignée d’agents communautaires dans les postes de quartier ne peut pas suffire à la tâche de créer un lien avec les jeunes de la communauté et de prévenir la violence. (En tout et pour tout, Ahuntsic-Cartierville compte cinq agents sociocommunautaires, soit deux dans Bordeaux-Cartierville et trois dans Ahuntsic.) Surtout si, en parallèle, la police déploie des ressources importantes pour mettre sur pied des escouades entières vouées à la répression et à la surveillance des gangs de rue.

D’autant plus que ces activités policières soumettent les jeunes des minorités racisées à « une surveillance ciblée et disproportionnée de la part des forces policières », comme le notait la Commission des droits de la personne et de la jeunesse dans son rapport sur le profilage racial et la discrimination systémique des jeunes racisés en 2011.

« La lutte du SPVM contre les gangs de rue et la répression des incivilités ont notamment été pointées du doigt comme des approches qui cibleraient excessivement les jeunes de certaines minorités racisées », soulignait pour sa part une étude indépendante sur les pratiques d’interpellations du SPVM, publiée l’an dernier.

Ce reportage est le premier d’une série de deux textes. Suite et fin dans la prochaine Actualité.



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