Stationnement plein à l’Hôpital du Sacré-Cœur. (Photo: Philippe Rachiele, JDV)

Lorsqu’un changement social s’amorce, même s’il est positif, il est fréquent que l’on observe une résistance plus ou moins féroce avant que celui-ci ne soit accepté. Comme dans le cas du stationnement.

Ce texte de la chronique Vert… un avenir possible a été publié dans la version imprimée du Journal des voisins, le Mag papier d’octobre-novembre 2023, à la page 30. Notre collaboratrice Frédérique Bertrand-Le Borgne est membre du comité citoyen Mobilisation environnement Ahuntsic-Cartierville (MEAC).

Or, pour voir se produire ce changement, il faut d’abord en parler, au moins pour changer l’angle sous lequel on considère les choses. Ce qui semblait, de prime abord, un changement catastrophique peut finalement s’avérer positif. Car un fait banal, ancré dans nos usages, se révèle soudain être moins bénin qu’on ne le pensait. 

De la résistance

Il existe beaucoup de résistance lorsqu’on parle de reconsidérer l’utilisation de l’espace public dédié au stationnement. C’est probablement parce que, pour le Québécois moyen, la voiture est toujours considérée comme un incontournable lorsqu’il s’agit de mobilité. Et que toute entrave à son utilisation est vue comme catastrophique. Pourtant, son usage a un prix qui, bien qu’il puisse sembler sans conséquence au premier coup d’œil, n’est pas négligeable.

Sans qu’on y pense vraiment, l’espace public montréalais est largement monopolisé par la voiture. Une étude de la Chaire Mobilité de l’École Polytechnique de Montréal, réalisée en 2021, évaluait que 78 % de la voie publique lui était consacrée, tandis que 20 % étaient dédiés aux piétons. Certes une place grandissante est dévolue aux 901 kilomètres d’aménagements cyclables, qui n’occupent cependant que 1,5 % de la voie publique. Et les voies réservées aux autobus n’occupent que 0,5 % du bitume de nos rues. 

Dans le territoire dévolu aux voitures, se trouvent généralement des espaces destinés à recevoir les automobiles au repos, ainsi que d’immenses aires de stationnement privées, qui constituent de véritables îlots de chaleur. Ces espaces augmentent les distances pour rejoindre les commerces, encouragent l’utilisation de l’auto solo et nuisent à la densification urbaine. 

Dans le contexte de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP 15), qui se déroulait à Montréal en avril 2023, on peut souligner que cet étalement urbain entre en compétition avec la préservation des habitats naturels vitaux pour une foule d’organismes. Ainsi, les changements d’usage des terres constituent la première cause de l’effondrement de la biodiversité auquel on assiste depuis les années 1970.

Sous-utilisation

De plus, une personne n’utilise son véhicule en moyenne que durant une heure par jour. Le reste du temps, il demeure stationné, le plus souvent gratuitement.

À Montréal, plus de 20 % de l’espace public dans les rues locales de la métropole est dédié à l’entreposage des véhicules privés, selon une étude de 2019 de la Chaire Mobilité de Polytechnique. C’est l’équivalent de 22 km2, soit presque la superficie totale d’Ahuntsic-Cartierville (24 km2)!

Depuis les années 1950, les municipalités exigent l’aménagement d’un nombre minimal de places de stationnement « hors rue » en fonction de critères tels que la destination du bâtiment qu’elles desservent. Ainsi, aux États-Unis, il existerait plus de deux milliards de places de stationnement. Le pays de l’Oncle Sam (soit 8 places par voiture) compte plus de 268 millions de voitures cette année, selon le Department of Transportation (ministère du Transport) américain. 

Le coût de construction et d’entretien de ces milliards de places de stationnement est refilé à l’ensemble des consommateurs et des contribuables, qu’ils soient ou non automobilistes. 

Tenu pour acquis

Pour tout automobiliste, cette multiplication des places crée l’attente qu’il existe toujours un lieu d’accueil pour son véhicule au terme de son trajet. Ce standard décourage l’amorce de changements en faveur des mobilités plus durables, qui sont essentielles à la transition socioécologique.

Plusieurs villes, partout dans le monde, commencent à se dégager de cette approche et changent de paradigme, pour allouer davantage d’espace à l’humain et moins à la voiture. 

Ainsi, Paris a décidé d’éliminer 70 000 places de stationnement sur rue ou privées d’ici 2026, selon des chiffres publiés par le cabinet de la mairesse Anne Hidalgo, en 2021. En 2019, la Ville Lumière comptait plus de 621 000 places de stationnement privées et sur rue, pour un parc de 462 700 véhicules, selon une étude d’APUR, une agence d’urbanisme française.

Paris entend végétaliser ces espaces publics, notamment pour atténuer les conséquences des changements climatiques, dont les canicules sont de plus en plus féroces. À Montréal, l’administration Plante a retiré 4280 places de stationnement depuis son arrivée au pouvoir, en 2017, rapportait Le Devoir en février 2021. 

Vue sur le Marché Central lors d’un coucher de soleil. (Photo: Éloi Fournier, archives JDV)

Rappelons que Montréal compterait de 475 000 à 515 000 espaces de stationnement sur rue, sans compter les espaces privés (le Marché Central aurait ajouté plusieurs centaines de places à ses quelque 4000 espaces de stationnement). Le coût d’entretien annuel d’une place de stationnement sur rue se situe entre 800 $ et 1300 $ selon l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, et entre 600 $ et 1200 $ selon le Victoria Transport Policy Institute (asphaltage, nettoyage, déneigement, réparations).

En retirant du stationnement sur rue, les élus favorisent ainsi des projets de sécurisation pour piétons et cyclistes. Le but de la Ville n’est pas de réduire l’offre de stationnement, comme à Paris, mais plutôt d’augmenter les choix en matière de mobilité. 

Or, il faut poser le premier pas pour changer cette réalité et en parler pour véritablement transformer nos milieux de vie, afin qu’ils soient résilients face au dérèglement du climat. 

Alors, faisons-le, ouvrons le débat.

À combien revient le prix d’un stationnement?                                              Les coûts du stationnement ont été largement étudiés par Donald Shoup, un chercheur de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Ses travaux, qui remontent au début des années 2000, ont clairement démontré que la société payait très cher pour stationner des voitures. M. Schoup avance qu’il faut éliminer le plus possible le stationnement gratuit sur rue et le stationnement privé dans les villes, faire payer le vrai prix aux propriétaires de voiture pour pouvoir stationner leur automobile sur la rue, notamment par des parcomètres, même en banlieue et dans les rues résidentielles. L’argent ainsi récolté est redirigé vers l’aménagement et l’entretien du bout de rue (surtout les trottoirs) où est situé le parcomètre.



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