Constatation fascinante (et inquiétante!) du prof que je suis : mes étudiants préfèrent souvent clavarder avec des êtres qui sont physiquement loin d’eux plutôt que de discuter avec leurs voisins de pupitre. Plusieurs étudiants sont ainsi atteints de dépendance et passent la majeure partie du cours absorbés comme des zombies par leurs écrans.
J’ai la chance, dans cette chronique, de corroborer par des études scientifiques ce que j’observe sur le terrain. Et voici une observation toute simple que j’ai faite : le cellulaire nuit beaucoup à l’apprentissage.
Radio-Canada a résumé en février 2018 une série d’études qui montrent à quel point les cellulaires peuvent nuire à la concentration.
Dans l’une d’entre elles, les participants devaient accomplir une tâche simple : appuyer sur une touche lorsqu’une lumière jaune s’allume et ne rien faire lorsque la lumière est verte. Les participants du groupe A n’avaient pas droit au cellulaire, tandis que les participants du groupe B plaçaient leur cellulaire derrière eux. Ils ne pouvaient pas le voir, mais ils pouvaient l’entendre. Les chercheurs ont fait sonner le cellulaire à deux reprises pendant l’expérience. Résultat : le groupe B a fait plus d’erreurs que le groupe A.
Si le cellulaire empêche les étudiants de bien exécuter une tâche aussi simple, imaginez quand ils doivent résoudre une équation mathématique ou comprendre un poème de Baudelaire!
Plus encore, une étude publiée en février 2018 dans la revue Computers & Education montre que les notes des étudiants sont fortement liées à l’usage du cellulaire : plus l’étudiant l’utilise lors des heures de cours, plus ses notes sont basses.
On pourrait aussi ajouter qu’il est désolant de voir des écoles, lieux de socialisation par excellence, abriter des jeunes qui textent, mais ne se parlent plus!
Et maintenant que fait-on? Certaines écoles ont adopté des règlements stricts et interdisent purement et simplement aux étudiants d’apporter leurs cellulaires à l’école; c’est le cas notamment de l’école Saint-Stanislas dans les Laurentides qui a récemment défrayé les manchettes.
Qui décide?
Malheureusement, cette volonté louable de libérer les jeunes de leurs écrans n’est pas suivie par toutes les écoles. Contrairement à la France qui a banni le cellulaire des écoles et des collèges en juillet 2018, et contrairement au gouvernement de l’Ontario qui s’apprête à l’interdire dans les classes, Québec ne semble pas vouloir intervenir.
Sébastien Proulx, ex-ministre de l’Éducation, a été confronté à deux controverses
impliquant les cellulaires : d’abord, en janvier 2018, Vincent Duguay a mis en demeure la Commission scolaire des Rives-du-Saguenay de revoir sa règle concernant les cellulaires – selon le règlement de la commission scolaire, le cellulaire est confisqué pour une durée de 24 heures.
Puis, en mai 2018, des adolescents fréquentant le Séminaire des pères maristes ont fait circuler des photos à caractère sexuel dans leur école. Le ministre a évité de prendre position en arguant qu’il revient à chaque école de décider de son règlement concernant l’usage du cellulaire.
Dépendance familiale?
Quant aux parents, ils ont du mal à établir des règles claires sûrement parce qu’ils sont eux-mêmes des utilisateurs aussi dépendants à leurs écrans que l’est leur progéniture!
Selon une vaste enquête menée par le chercheur Thierry Karsenti auprès de 4 390 élèves, une infime minorité d’adolescents fait face à une restriction parentale. Cela signifie qu’ils peuvent utiliser leurs cellulaires à toute heure du jour : la nuit sous les couvertures, pendant les repas et pendant les activités familiales…
Si les professeurs ne sont pas appuyés par une législation claire de Québec ni par les parents, qui envoient bien souvent à leurs enfants le message que le cellulaire peut être utilisé à toute heure du jour, en toutes circonstances, leur combat ressemble à celui de David contre Goliath : ils ont bien peu de chances d’en sortir vainqueurs. Et on sait maintenant que leur échec se fait au détriment de leurs étudiants.
On pourrait aussi ajouter qu’il est désolant de voir des écoles, lieux de socialisation par excellence, abriter des jeunes qui textent, mais ne se parlent plus!
Ce texte est une chronique d’opinion initialement publiée dans notre Mag Papier du printemps 2019.
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