Le Collège Ahuntsic a changé le nom de ses équipes sportives dans le cadre d’un processus d’autochtonisation fort populaire au sein de la communauté collégiale.
C’est peu connu jusqu’à maintenant hors des murs de cette institution, mais les Indiens sont désormais passés à l’histoire. Les athlètes membres de ses équipes sportives évolueront désormais sous le nom des Aigles.
En fait, ces changements ne se limitent pas qu’aux équipes de sport. Ils font partie d’un processus qui vise à changer la culture de la communauté collégiale à tous les échelons. Le Collège Ahuntsic est situé, faut-il le rappeler, dans un quartier au nom autochtone…
Ce processus a commencé il y a quatre ans, initié par un malaise, celui de la directrice générale Nathalie Vallée.
« Le nom des Indiens et le logo étaient fort jolis, explique la principale intéressée, mais j’ai toujours eu un certain inconfort. Quand j’ai été nommée directrice générale, il y a quatre ans, une personne de la direction des affaires étudiantes m’avait demandé s’il était possible d’acheter un autobus pour permettre aux équipes de se déplacer plus facilement. J’imaginais notre autobus sillonner le Québec avec l’énorme tête d’Indien. Ça ne passait plus. »
Mme Vallée reconnaît qu’il s’était développé un fort sentiment d’appartenance autour des Indiens, mais que personne ne se souvenait de l’origine de ce nom, qui remontait à la création du collège, lors du lancement des cégeps québécois, en 1967.
« Tout ce que je savais, c’était que le nom d’Ahuntsic est celui d’un garçon de 10 ans, compagnon de Nicolas Viel, qui s’est noyé dans la rivière des Prairies au début de la colonie », dit-elle.
Or, Mme Vallée n’était pas la seule au sein de la communauté collégiale à s’interroger sur l’acceptabilité du nom des Indiens.
Depuis longtemps, d’autres institutions d’études supérieures vivent des controverses autour du nom de leurs équipes sportives, notamment l’Université McGill. Chez cette dernière, le débat autour du changement de nom des Redmen dure depuis un quart de siècle. L’an dernier, l’université a annoncé qu’un nouveau nom serait trouvé pour la saison 2020-2021, ce qui a suscité une énorme controverse.
Ce genre de débat concerne aussi les équipes de sport professionnel, notamment chez les Eskimos d’Edmonton (LCF), les Redskins de Washington et les Kansas City Chiefs (NFL), les Braves d’Atlanta et Indiens de Cleveland (baseball majeur), et les Blackhawks de Chicago (LNH).
Faire participer la communauté
« Je ne voulais pas qu’on passe pour une institution qui a laissé faire pendant des années, mais [ je voulais ] que la transition ne se déroule pas non plus de façon brutale, explique Mme Vallée. Je préférais qu’on initie ces changements dans le cadre de notre mission éducative. Quand on a lancé ce projet, l’actualité était fortement marquée par les questions autochtones, avec la commission d’enquête sur les femmes autochtones assassinées et la commission Vérité et Réconciliation, de même que tout le débat autour de la pièce Kanata. »
Le conseil d’administration du collège a donc consenti un budget permettant de libérer une partie de la tâche d’une professeure en anthropologie, Julie Gauthier.
Cette dernière a eu le mandat d’organiser un processus d’autochtonisation, en collaboration avec le groupe Mikana, qui a mené celui de l’Université Concordia. L’enseignante organisait justement, depuis plus d’une décennie, des déplacements vers la communauté atikamekw d’Opitciwan.
Un mouvement planétaire
Plusieurs institutions d’enseignement à travers le monde ont instauré une démarche d’autochtonisation, qui est avant tout une intégration de la culture autochtone dans un contexte de décolonisation culturelle.
« Pour que ça fonctionne, il faut faire des autochtones nos alliés, continue Mme Vallée. Ils deviennent en fait des partenaires à long terme, qui nous éduquent sur le sujet, car ils étaient ici avant l’arrivée des Européens. Le processus ne fonctionne pas si ce sont des Blancs qui le pilotent, car ça peut devenir une autre forme de colonialisme. »
L’expérience est donc une réflexion commune sur les enjeux actuels autour des Premières nations, qui vise à modifier nos comportements et à reconnaître l’apport des cultures autochtones au sein de nos communautés, comme l’explique la page internet du collège dédiée au projet.
Mme Vallée explique qu’à notre époque, il est devenu nécessaire de traiter de ces enjeux.
« Quand on a initié ce projet, on ne savait même pas combien nous avions d’étudiants autochtones, dit-elle. On a fait une recension volontaire dès la première année : ils étaient une soixantaine, de différentes nations! »
Le projet a multiplié les initiatives comme des panels, des sorties, des discussions, des expositions et des dîners-causeries portant sur l’histoire et les réalités autochtones. Ces événements étaient très populaires au sein de la communauté collégiale.
En novembre 2019, le collège a embauché à mi-temps un facilitateur autochtone à la vie étudiante, Gilbert Niquay, un Atikamekw originaire de Manawan, étudiant à l’UQAM et à l’Université de Montréal. Ce dernier offrira des services dédiés à la clientèle autochtone et participera au processus d’autochtonisation.
Les Aigles
En 2018, le Collège entreprend des consultations pour changer le nom des équipes sportives, notamment auprès des entraîneurs et des athlètes.
Les étudiants ont proposé toute une série de noms et celui des Aigles fut retenu, car cet animal occupe une place centrale dans la mythologie autochtone.
« On ne met pas le nom des Indiens à la poubelle, explique Mme Vallée. Il fera désormais partie de l’histoire. On passe à autre chose. »
Le Collège a confié à un graphiste autochtone la réalisation d’un logo, qui sera dévoilé sous peu. Le nouveau nom et le dévoilement du logo feront l’objet d’une cérémonie en septembre prochain. Le collège va progressivement remplacer aux nouvelles couleurs les équipements et uniformes au fur et à mesure qu’ils auront atteint la fin de leur vie utile.
« Nous sommes très fiers de notre processus d’autochtonisation, qui s’inscrit dans une mentalité d’inclusion qui apporte beaucoup de richesse à notre institution », conclut la directrice générale.
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