Le 10147, av. Péloquin. (Photo: François Robert-Durand, JDV)

La transformation d’une petite maison de type shoebox en immeuble de trois condos, au 10147, av. Péloquin, soulève la controverse. Les protecteurs du patrimoine s’interrogent sur le rôle de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville.

Les photos ne mentent pas: là où il y avait une jolie petite maison de type shoebox, avec de la verdure et des arbres matures, trône aujourd’hui un imposant immeuble de trois logements d’architecture contemporaine, dépourvu de végétation. Cette transformation extrême soulève des questionnements, notamment chez les protecteurs du patrimoine. D’autant plus qu’après avoir essuyé un refus de permis démolition, le propriétaire a obtenu un permis de « transformation ».

« Selon ce que j’ai appris, ce permis obligeait le propriétaire à conserver 50 % de l’immeuble original; que l’existence de la maison shoebox devait être préservée. Or, il n’en reste rien », constate Jacques Lebleu, gardien du patrimoine.

Selon une source, on peut encore apercevoir la forme de la maison shoebox, qui serait en fait la section centrale de l’immeuble, à l’étage visible depuis la ruelle, juste derrière la terrasse du centre. Cependant, toute trace des matériaux originaux, à l’intérieur comme à l’extérieur, a disparu.

Le 10147, av. Péloquin vu de la ruelle. (Photo: François Robert-Durand, JDV)

Un des trois logements du nouvel immeuble fait l’objet d’une annonce sur la plateforme Re/Max, où l’on indique qu’il s’agit d’une construction neuve à 98 %. Le prix de vente d’une des trois unités est fixé à 1 325 000 $. L’unité du 10149 est aussi à vendre. Seule l’unité de coin, la plus vaste, n’est pas sur le marché.

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Le 10147, av. Péloquin avant les travaux.(Photo: Philippe Rachiele, archives JDV)

« Avec cette nouvelle construction, je constate que le propriétaire a fait à sa guise, reprend M. Lebleu. Il a peut-être respecté le zonage, mais ce projet s’intègre très mal dans le voisinage. D’un point de vue architectural, il y a de l’arrogance dans ce bâtiment. Le secteur est constitué d’habitations remontant aux années 1950, avec parement de briques rouges. Or, cet immeuble avec son look contemporain et ses matériaux, notamment la brique blanche, détonne dans le paysage. Il ne semble pas y avoir de souci du voisinage. À une époque où on tente de réaliser des ruelles vertes, cette construction prévoit deux entrées de garage, et une autre sur le devant. »

M. Lebleu ne se dit pas contre de remplacer une propriété par un immeuble de trois logements, surtout à une époque où on parle de densification. Toutefois, il faut que ce soit fait avec harmonie, insiste-t-il.

« Ici, avec des balcons en terrasse qui surplombent les voisins et la disparition complète de la maison originale, je vois surtout un signal que l’arrondissement ne respecte pas ses propres règles. Je me demande si l’arrondissement a fermé les yeux sur ce projet, ou qu’il a approuvé les plans une fois que la maison était construite, poursuit M. Lebleu. Le problème avec ce dossier, c’est qu’on ne sait rien. »

Manque de transparence?

«Ce dossier n’est pas très glorieux, commente Stéphane Tessier, de la Société d’histoire d’Ahuntsic-Cartierville. S’il y a des règles, elles n’ont pas été respectées… ou les règles sont carrément mal faites! Car ce nouveau bâtiment est décevant : il n’y a aucun effort de rappeler l’ancienne bâtisse ou de s’intégrer au quartier.»

M. Tessier ne connaissait pas l’état de l’ancienne maison shoebox, mais croit qu’il fallait la conserver.

«On discute des shoebox depuis dix ans à Montréal, dit-il. Elles sont un legs particulier dans l’histoire de nos communautés. Ce n’est pas une architecture flamboyante, mais elle est importante. Celle du 10147, rue Péloquin était charmante, tout comme le terrain. Là, on n’a plus de terrain.»

Ce dernier reconnaît que les propriétaires ont le droit de jouir de leur propriété, mais ils doivent respecter les règles.

«Ce bâtiment incarne clairement un refus de vivre ensemble par son style et ses dimensions, dit-il. Vont-ils mettre de la végétation pour le cacher?»

(Photo: François Robert-Durand, JdV).

Est-ce un projet conçu pour faire un coup d’argent?

«C’est clair que c’est un flip, reprend M. Tessier. Ce terrain était très alléchant, mais il faisait le charme du quartier. Ce bâtiment a l’air du loft d’une vedette de Star Académie. Vont-ils y tourner occupation double?»

Pour M. Tessier, il y a clairement un manque de transparence de la part de l’arrondissement.

«Ils ont erré et ils ne veulent pas l’admettre. Au moins, l’arrondissement devrait avouer qu’il cherche à augmenter ses revenus de taxes. Avec un dossier similaire, dans Sault-au-Récollet, c’est la deuxième fois que ça arrive: ça force le cynisme», reprend-il.

Du flou

«J’ai vu l’évolution de ce projet, car c’est mon métier, commente Jocelyn Duff, architecte et membre de la Société d’histoire d’Ahuntsic-Cartierville. J’ai pu le comparer avec plusieurs autres, dans différents arrondissements de Montréal. On ne voit pas ça ailleurs. Il y a manifestement contradiction avec le permis de transformation. Le problème, c’est que ce permis est introuvable. Je suis un professionnel, j’ai l’habitude, et je ne le trouve pas! On ne connaît donc pas les exigences de l’arrondissement, ou si elles ont été respectées.»

Pour M. Duff, le permis de transformation semble être un fourre-tout, une sorte d’échappatoire pour les promoteurs.

«Avec ce projet, le propriétaire a fait à sa tête, reprend-il. Il voulait ériger trois condos de luxe; il l’a fait. J’ai peur pour l’avenir : c’est un signal que les promoteurs peuvent faire ce qu’ils veulent. Surtout depuis le dossier du 1961, boul. Gouin Est, où l’on a démoli un garage historique pour le remplacer par un immeuble qui ne s’intègre nullement au quartier, quoi qu’en pensent les autorités.»

Avec un permis de transformation, la population n’a pas les moyens de réagir à un projet immobilier comme c’est le cas avec une demande de démolition, où il faut clairement installer des avis.

«Dans ce dossier, les citoyens ont été mis devant le fait accompli, reprend M. Duff. La démocratie citoyenne est mise à mal. C’est un peu le Far West. C’est comme si un promoteur était plus fort que les 130 000 citoyens de l’arrondissement ou même les pouvoirs politiques.»

M. Duff considère que le nouvel immeuble ressemble à une clinique médicale.

« Il compte trois garages, à une époque où on tente d’éviter les îlots de chaleur, dit-il. Ce projet n’est pas acceptable du point de vue environnemental ou urbanistique, car il ne s’intègre pas au quartier. J’ai posé des questions à l’élu du district, Jérôme Normand. Il m’a répondu que le Conseil consultatif d’urbanisme de l’arrondissement lui aurait affirmé qu’on ne peut pas se contenter de copier le passé. Je rétorque que je n’ai rien contre l’architecture contemporaine, mais ce dossier n’est pas sur la bonne voie. Ce qui fait la valeur d’une rue, c’est d’ajouter des immeubles qui s’harmonisent avec la trame actuelle, pas ceux qui font une coupure radicale. »

Réponses évasives

Le JDV a tenté d’obtenir des explications de l’arrondissement.

«Les vérifications afin de s’assurer du respect du permis, en conformité à la réglementation, ont été effectuées et se poursuivent », a répondu sa porte-parole, Michèle Blais. Elle confirme que le permis aurait été « délivré à l’intérieur des paramètres réglementaires. Bien que la démolition de l’immeuble ait été refusée, la transformation de l’immeuble s’est effectuée à l’intérieur des paramètres prévus à la réglementation».

Signalons que l’ancienne maison shoebox ne faisait l’objet d’aucune protection patrimoniale et n’était pas dans une zone régie par un Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA). Selon l’agent d’immeuble, elle aurait été érigée en 1917.

Les élus ont refusé de nous accorder une entrevue. Nous n’avons pas pu joindre les quatre propriétaires actuels de l’immeuble.

Qu’est-ce qu’une shoebox?

Il existe plusieurs centaines de maisons de type shoebox à Montréal. Au début des années 1900, Montréal était la métropole du Canada et une ville dont l’économie explosait, dopée par la révolution industrielle. Les grandes usines, notamment les chantiers ferroviaires ou navals, permettent à des milliers d’ouvriers, dont de nombreux immigrants, de s’installer dans les nouveaux quartiers périphériques que sont Rosemont, Villeray, Verdun, Saint-Michel, Maisonneuve et… Ahuntsic.

Les terrains sont abordables et on peut devenir propriétaire sans devoir habiter un taudis dans les quartiers situés près du port. Sur ces terrains, les ouvriers bâtissent une petite maison en forme de boîte rectangulaire – de là le surnom de boîte à chaussures (shoebox en anglais) –, souvent sans sous-sol. La fenestration en façade est souvent généreuse. Un potager occupe le terrain avant, plus vaste que celui des voisins.

Une shoebox typique fait entre 600 et 800 pieds carrés. L’ossature est constituée de gros madriers de bois montés pièce sur pièce. Leurs propriétaires privilégiaient ces matériaux lourds, souvent « empruntés » à long terme à leur employeur (notamment le Canadien Pacifique, qui employait 12 000 personnes aux shops Angus), dans l’espoir de construire un étage éventuel (les shoebox sont les ancêtres des duplex). Le parement était généralement constitué de briques rouges, avec un appliqué de maçonnerie arborant une gravure de castor ou de feuille d’érable. C’était une habitation confortable et abordable, souvent construite par le propriétaire lui-même et payée à la sueur de son front.

Aujourd’hui, les shoebox sont de plus en plus les proies de promoteurs, qui apprécient les grands terrains sur lesquels elles sont érigées, comparativement aux immeubles voisins. Ils tentent d’ajouter un étage ou de les raser pour construire autre chose, souvent en réalisant un gros profit.

À notre connaissance, seul l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie s’est doté d’un règlement pour protéger ses quelque 500 shoebox. Et cette protection dépend de certains critères architecturaux et patrimoniaux. L’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville n’a pas précisé s’il disposait d’un inventaire des maisons de type shoebox sur son territoire.



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Duff Jocelyn
Duff Jocelyn
2 Années

Lorsqu’un permis de démolition est refusé, ça signifie qu’on ne peut pas démolir. Point à la ligne. Lorsque le propriétaire demande une révision de la décision de démolir et se la fait refuser une seconde fois, c’est un NON catégorique, on ne peut pas être plus clair. La porte est ainsi fermée à double tour. Il a le choix de rénover, de revendre (et de récupérer une partie de sa mise) ou du statu quo. Ça fait partie du risque du développement. Mais pour le voisinage, c’est une perte de qualité irréversible.

Lapointe, Denis
Lapointe, Denis
2 Années

On pourrait citer de nombreuses constructions ou rénovations assorties de demandes de la ville qui n’ont pas été respectées en toute impunité (ex. le terrain coin sud-est St-Hubert-Fleury). Qu’on remplace un vieux bâtiment n’est pas répréhensible en soi en autant qu’on remplace pour mieux et non pour pire. Le conseiller Jérôme Normand doit répondre de ce dossier.

Claudette Viau
Claudette Viau
2 Années

Des promoteurs? Non. Des profiteurs? OUI. Pis y font toute pour l’$$$$. Me semble que c’est simple à comprendre!

Claudette Viau
Claudette Viau
2 Années
Répondre à  Claudette Viau

C’est en plein çà!

Boiteau Daniel
Boiteau Daniel
2 Années

Honte à nos élues pour ce gâchis. Ils peuvent bien nous faire des conférences de presse pour nous faire croire qu’ils ont à coeur l’environnement et le patrimoine. La vraie priorité pour eux c’est $$$.

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