Alexandre Klein et Johanne Tassé à l’inauguration de la nouvelle aile nommée en l’honneur de Charlotte Tassé à l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost. (Photo: François Robert-Durand, JDV)

L’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost, situé à Cartierville, inaugurait le 11 mai dernier sa nouvelle aile Charlotte-Tassé, en hommage à cette pionnière en santé mentale au Québec.

C’est le premier hôpital du Québec, voire du Canada, à avoir été dirigé par des infirmières: l’Institut Albert-Prévost, devenu l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost, rendait hommage la semaine dernière à une grande dame de son histoire.

Charlotte Tassé (1893-1974), qui a dédié sa vie aux garde-malades (désormais appelées infirmières) canadiennes-françaises, a enfin son nom rattaché à une aile de l’Hôpital, qui accueillait déjà l’aile Camille-Laurin depuis plusieurs décennies.

Rendu possible grâce au travail documentaire d’Alexandre Klein, docteur en histoire et philosophe en sciences à l’école des sciences infirmières de l’université d’Ottawa, mais aussi à la Fondation de l’Hôpital du Sacré-Cœur, le projet a permis de mettre en lumière le travail remarquable d’une véritable oubliée de l’Histoire de la médecine:

«Quand on est une femme qui travaille dans la santé mentale, on est pris dans une double stigmatisation. Une femme, ça intéresse moins que les médecins, d’autant moins en santé mentale. Donc [Charlotte Tassé] est tombée dans ce trou-là. Personne ne s’est intéressé à elle», témoigne Alexandre Klein.

Le chercheur a dédié sa recherche à la première femme qui a fait reconnaître la profession d’infirmière auxiliaire au Québec, voilà sept ans.

L’inauguration de la nouvelle aile Charlotte-Tassé arrive à l’occasion de la semaine nationale des infirmières et infirmières auxiliaires, qui se tenait du 8 au 14 mai 2023.

Charlotte Tassé, infirmière, à l’âge de 25 ans en 1918. (Photo: Fonds Charlotte Tassé, courtoisie BAnQ)

Une avant-gardiste

Recrutée comme infirmière à seulement 25 ans à l’ouverture du sanatorium Albert-Prévost (fondé en 1919 par Albert Prévost, neurologue reconnu), Charlotte Tassé mène sa vie avec droiture et ambition.

Avant-gardiste, elle voyage d’abord à New York pour se spécialiser en psychiatrie (du jamais vu pour une garde-malade au Québec), puis en Europe à maintes occasions, afin d’en ramener les avancées dans les soins en santé mentale.

En 1928, elle prend la charge de la revue La Garde-malade canadienne-française, véritable bible pédagogique pour les infirmières et infirmières auxiliaires, qu’elle dirigera durant 35 ans et qui servira de vitrine à l’Institut, privé. Elle publiera également le best-seller Manuel des questions et réponses d’examens de garde-malades, réédité plusieurs fois.

Le 4 septembre 1950, elle inaugure au sein du sanatorium la toute première école de garde-malades auxiliaires de la Province, basée sur le modèle des practical nurses aux États-Unis. Charlotte Tassé dédiera sa carrière à faire évoluer les soins en santé mentale, les basant sur la personne au profit de la maladie.

Alors que les maladies mentales sont soignées à l’époque dans des asiles, les patients viennent à l’Institut pour calmer leurs nerfs: dès 1955, l’établissement prend des allures d’une maison de repos avec télévisions dans les chambres, atelier de céramique, salon de coiffure…

Elle reste plus de 40 ans à l’Institut Albert-Prévost (dont elle prendra la direction à la suite de la mort de son fondateur, décédé en 1926 d’un accident de voiture). Elle crée un réel engouement pour l’établissement, notamment par l’invitation du célèbre neurologue et psychiatre français Henri Ey, qui donne des conférences à l’Institut Albert-Prévost.

Charlotte Tassé et l’infirmière Bernadette Lépine contribuent ainsi à assurer la direction de l’établissement et le maintenir en vie. Elles créent le premier conseil d’administration entièrement composé de femmes laïques infirmières et infirmières auxiliaires.

Une quarantaine de personnes étaient présentes lors de l’inauguration de l’aile Charlotte-Tassé à l’Institut en santé mentale Albert-Prévost. (Photo: François Robert-Durand, JDV)

Rebondissements

En 1961, des frictions surviennent entre l’équipe de psychiatres (menée par Camille Laurin) et le conseil d’administration de l’Institut (dirigé par Charlotte Tassé). Dr Laurin signe la postface de l’ouvrage Les fous crient au secours (1961), un témoignage poignant signé Jean-Charles Pagé (admis dans un asile psychiatrique contre son gré). Ce document dénonce les méthodes de traitements de l’époque de l’Hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, devenu l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

L’établissement, dirigé par les Sœurs de la Providence, récolte les foudres du livre qui provoque un tollé au Québec, ce qui engendre la création d’une Commission d’enquête des hôpitaux psychiatriques par le gouvernement de Jean Lesage.

Charlotte Tassé, bien que laïque dans son travail, reste pieuse dans sa vie personnelle et porte un grand respect envers les Sœurs de la Providence. Elle subit donc la publication du livre comme une trahison: en outre, Camille Laurin avait prévenu tout le personnel de l’Institut Albert-Prévost de sa participation à l’ouvrage, à l’exception de Charlotte Tassé.

La Commission d’enquête sur l’administration de l’Institut Albert-Prévost donne finalement raison à l’équipe de psychiatres, au détriment du conseil d’administration encore dirigé par Charlotte Tassé.

En 1964, Camille Laurin compose le nouveau conseil d’administration d’une équipe à 100 % masculine. Les médecins retrouvent leur rapport de force face aux femmes, et prennent la tête de l’hôpital malgré 35 années de direction menée par les infirmières et Charlotte Tassé.

La même année, Charlotte Tassé perd sa précieuse amie Bernadette Lépine, décédée quelques mois seulement après la publication du rapport d’enquête. Les deux femmes avaient sauvé l’Institut Albert-Prévost, suivant la mort de son fondateur, sur la seule base de leurs économies personnelles et de leur assurance-vie.

Alexandre Klein présente la vie de Charlotte Tassé, à l’inauguration de la nouvelle aile nommée en son honneur à l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost. (Photo: François Robert-Durand, JDV)

Un hommage réussi

En 2016, Alexandre Klein dédie sa recherche à Charlotte Tassé et collabore avec la petite-nièce de celle-ci, Johanne Tassé. Très émue par l’hommage rendu à sa grande tante, Mme Tassé gardera en souvenir les moments passés à la maison familiale d’Henryville, mais aussi l’héritage des valeurs de Charlotte: la détermination, la compassion et l’entraide.

«Ça a toujours été une dame pleine de sérénité, une femme posée. Même toute petite, c’était toujours un plaisir pour moi d’aller la visiter. Elle était une inspiration, je l’espère aussi pour les autres femmes», confie Johanne Tassé, petite nièce de Charlotte Tassé, au Journal des voisins.

Notre journal s’est vu offrir une autre confidence, cette fois-ci de la part d’Alexandre Klein: une biographie de Charlotte Tassé, en cours de finalisation par ses soins, devrait paraître au début de l’année 2024.



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