Carte des zones montréalaises pour l’habitation. Ahuntsic-Cartierville est désignée comme la zone 12. (Source: SCHL).

L’arrivée de l’été rime bien souvent avec déménagement. Comme chaque année, des milliers de Montréalais s’attelleront à prendre possession de leur nouveau logement le 1er juillet. Alors que pour certains, cette date est synonyme de nouveautés et de découvertes, pour d’autres, la date butoir arrivera au terme d’une période stressante de plusieurs mois et ne sera peut-être pas couronnée de succès. En effet, une «  pénurie » de logements semble être inévitable à Montréal, selon plusieurs experts. Le territoire d’Ahuntsic-Cartierville subirait, lui aussi, une baisse constante de logements locatifs depuis quelques années.

Un récent rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) fait état d’une baisse du taux d’inoccupation des logements sur l’île de Montréal, ce qui signifie qu’il y a moins de logements disponibles pour ceux et celles qui veulent se loger.

Ce taux représente le pourcentage de logements non loués sur un territoire donné; plus ce nombre est bas, moins il y a de logements disponibles. Les experts estiment qu’à un seuil de 3 % d’inoccupation, il y a « équilibre ». Toutefois, il semble qu’une fois cette barre franchie, la recherche d’un logement se complique.

Dans la métropole, l’année dernière, ce taux a atteint son pourcentage le plus bas en 10 ans, soit de 1,9 %.

Difficile de connaître le taux exact d’inoccupation sur le territoire d’Ahuntsic-Cartierville pour 2018 puisque la SCHL ne fournit pas l’entièreté de ces données dans son rapport.

Toutefois, pour les logements de trois chambres et plus dans l’arrondissement, le rapport mentionne que le taux d’inoccupation n’était que de 0,3 % en 2016 et de 0,2 % en 2017. Il serait aussi de 2,8 % pour les studios et de 1 % pour les logements de deux chambres en 2018.

Raisons diverses

Les raisons de cette pénurie dans la métropole sont nombreuses. Et Ahuntsic-Cartierville n’y échappe pas.

L’immigration et la migration représentent deux des explications soulevées. L’arrivée de nouveaux arrivants provenant de l’extérieur du pays ou de l’extérieur de Montréal – qu’il s’agisse de travailleurs étrangers, de résidents permanents, d’étudiants ou de réfugiés – contribue à la demande accrue en logements.

Cependant, cela n’explique pas entièrement ce phénomène.

Les plateformes telles que AirBnb, qui ne sont pas particulièrement importantes sur le territoire d’Ahuntsic-Cartierville, contribuent à retirer des logements du marché locatif montréalais.

Le marché immobilier dans la métropole peut aussi être mis en cause dans cette pénurie. Depuis 2016, le prix des habitations connaît une augmentation importante. Montréal étant un marché de vendeurs, l’inventaire des maisons disponibles dans Ahuntsic-Cartierville est moins garni et le prix des maisons est donc plus élevé.

Ce phénomène pousse certains à rester locataires plutôt que d’acheter, ce qui réduit le nombre de logements locatifs disponibles selon le rapport de la SCHL.

Il est difficile de savoir si cette situation pourra changer dans l’avenir. Le marché immobilier ne répond pas à des règles fixes, souligne Mathieu Lagarde, copropriétaire du l’agence Christine Gauthier Immobilier inc.

Nouvelle réglementation

Enfin, d’autres propriétaires, dans l’intention de faire fructifier leurs investissements, et devant une demande immobilière importante, transforment leur plex en copropriétés (condos) et les revendent séparément.

Ahuntsic-Cartierville vient d’ailleurs d’implanter un changement important à ce chapitre.

Depuis février, une nouvelle réglementation impose aux propriétaires de plex d’attendre que le logement qu’ils désirent convertir en condo ait été inoccupé pendant cinq ans avant de pouvoir diviser leur habitation en copropriétés. Auparavant, cette limite était établie à deux ans.

Cette restriction ne touche toutefois pas les transformations des plex en maisons unifamiliales.

Toutes ces réalités font que l’on assisterait à une baisse progressive d’année en année des logements locatifs dans Ahuntsic-Cartierville, selon Mathieu Lagarde, sans que ce soit une baisse dramatique.

Enfin, selon M. Lagarde, les acheteurs et locataires passent désormais outre à la « barrière psychologique » que représentait l’autoroute Métropolitaine. Un phénomène relativement nouveau et encore de faible portée, précise-t-il. Avec l’augmentation progressive des loyers et la rareté des logements dans le sud de la Ville, le processus de migration vers le nord de l’île sera un phénomène de plus en plus fréquent.

Pénurie de logements sociaux?

Karina Montambeault, organisatrice communautaire et responsable du dossier du logement social au Comité logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC), invoque toutefois une autre raison importante qui expliquerait la pénurie de logements locatifs : le ralentissement des constructions de logements sociaux et abordables dans Ahuntsic-Cartierville, et plus particulièrement des logements de trois chambres ou plus.

Selon le rapport de la SCHL, entre 2017 et 2018, le nombre net de logements de trois chambres et plus dans Ahuntsic-Cartierville (zone 12 sur notre illustration) aurait seulement augmenté de 70 unités. Dans cette même période, ce sont près de 330 logements d’une à deux chambres qui ont été bâtis.

Le « dossier noir » du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), dans Ahuntsic-Cartierville, fait quant à lui état de 5 265 personnes qui vivraient dans des logements dans lesquels il manquerait au moins une chambre.

Augmentation du coût des loyers

La conjoncture constitue un problème majeur pour les familles à revenus modestes désirant se loger dans Ahuntsic-Cartierville.

Selon la SCHL, dans Ahuntsic-Cartierville, il en coûterait près de 1 058 $ en moyenne pour un logement de trois chambres et plus, ce qui est beaucoup d’argent.

Mais, toutes formes de logements confondues, Ahuntsic-Cartierville se classe en dessous de la moyenne montréalaise quant aux coûts, ce qui est une bonne nouvelle.

Mais une pénurie de logements contribue à une augmentation des loyers. Il sera donc probablement plus compliqué pour les familles aux revenus plus modestes de concurrencer cette hausse et de se trouver un logement décent.

Une pénurie de logements occasionne une surenchère; les loyers sont ainsi artificiellement augmentés par cette demande accrue. Plusieurs grands médias rapportaient notamment que des locataires proposaient volontairement un loyer plus élevé afin de s’assurer d’avoir un logement.

En 10 ans, soit de 2009 à 2019, le loyer moyen dans l’arrondissement a connu une hausse de 25 %. Selon le « dossier noir » du FRAPRU, en 2016, 34 % des ménages locatifs d’Ahuntsic-Cartierville consacraient plus de 30 % de leur revenu aux dépenses de logement et 16 % en consacraient plus de 50 %.

L’augmentation des loyers – qu’elle soit naturelle ou de surenchère – forcera de nombreux Montréalais à augmenter considérablement leur budget habitation s’ils souhaitent se loger dignement dans la métropole et dans l’arrondissement.

Le CLAC s’impose

Dans l’espoir de voir le dossier évoluer, plusieurs membres et représentants du CLAC se sont présentés au dernier conseil d’arrondissement début mai pour demander l’appui des élus.

« Nous souhaitons que les élus montréalais appuient notre travail et fassent davantage de pression auprès du gouvernement du Québec pour soutenir le développement du logement social », souligne Karina Montambeault.

À tour de rôle, plusieurs représentantes du CLAC sont venues presser la mairesse d’Ahuntsic-Cartierville, Émilie Thuillier, ainsi que les conseillers d’agir dans le dossier du site Louvain et des logements sociaux et abordables du territoire.

« Il est socialement inacceptable qu’en 2019, dans un pays riche comme le Canada, il y ait autant de personnes mal logées » soulignait le CLAC.

Mme Thuillier assure toutefois que le projet du terrain Louvain avance et que plusieurs réunions de comités ont déjà eu lieu. Selon l’élue, le dossier, qui était en latence depuis plusieurs années, commence tranquillement à avancer vers sa réalisation.

« Seulement sur le terrain Louvain, nous pourrions réaliser 1 000 logements sociaux et communautaires », affirme quant à elle Karina Montambeault.

Une question complexe

Toutefois, si le développement du site Louvain pourra aider quelque peu, Mme Thuillier soulignait au journaldesvoisins.com, en mars dernier, la complexité du dossier des logements locatifs en général.

« Contrairement à ce que pensent plusieurs, comme municipalité, nous n’avons pas le droit d’exiger que les logements qui se construisent soient destinés à la location. Nous autorisons la construction des habitations, mais nous n’avons pas le pouvoir de décider si ce seront des logements à louer ou des condos », soulignait Mme Thuillier.

L’arrondissement s’est, malgré cette restriction, équipé d’une stratégie d’inclusion qui contraint les constructions de cinq logements et plus et qui font l’objet d’une dérogation à plusieurs conditions favorisant le logement social, communautaire et abordable. Ces conditions vont de l’obligation d’inclure 20 % de logements sociaux/communautaires sur ou hors site, à une contribution financière pour des projets de ce type sur le territoire.

Stratégie pour la Ville

Mme Thuillier indique notamment qu’un projet similaire, qui devrait voir le jour en 2021 pour l’ensemble de la Ville, viendra imposer ces conditions à toutes les nouvelles constructions de cinq logements et plus, même si ces logements sont construits de plein droit, c’est à dire sans demande de dérogation. Les détails de ce plan devraient être dévoilés dans peu de temps selon la mairesse de l’arrondissement.

Dans le court terme, la volonté de l’administration est de travailler à assurer la salubrité des logements déjà existants dans l’arrondissement. La Ville-centre a notamment augmenté le nombre d’inspecteurs dans son équipe, dans le but de redoubler d’ardeur dans l’inspection de certains logements. Le dossier noir du FRAPRU faisait état de 2 490 résidants qui vivraient dans des logements nécessitant des « réparations majeures ».

Il faut aussi noter que, dans son plan « Stratégie de développement de logements sociaux et abordables 2018-2021 », lancé l’an dernier, la Ville de Montréal affirmait qu’elle souhaitait que soient construits près de 12 000 logements sociaux et abordables d’ici 2021.

 

 



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