(Photo : Archives JDV)

L’adoption de la loi 40, qui a modifié la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires, en début d’année 2020, par le gouvernement de la CAQ, a amené son lot de changements. Notamment, les commissions scolaires sont devenues des centres de services scolaires et les commissaires ont vu leur poste disparaître. Sans ces élus auxquels s’adresser, devient-il plus difficile pour les parents de faire entendre leur cause auprès de l’école de leur enfant? Une situation difficile vécue récemment par une mère d’Ahuntsic-Cartierville laisse croire que c’est peut-être le cas.

Une demande de dérogation refusée

Édith Filion, résidante de l’arrondissement, souffre d’une maladie chronique dégénérative, elle est en fauteuil roulant. Elle ne peut donc pas accompagner sa fille à l’école Saint-Isaac-Jogues. En raison de l’âge et de la petite taille de sa fille, Mme Filion considère qu’elle n’est pas en mesure de marcher seule vers l’école. Il y a pour elle trop de danger. Elle demande donc une dérogation pour qu’un autobus scolaire puisse la ramasser.

Après un refus de l’administration, le Protecteur de l’élève, légalement chargé de réviser les décisions de l’administration scolaire à la suite d’une plainte ou d’une demande, lui a répondu que « dans le contexte de la COVID-19, les dérogations sont impensables. Même des élèves ayant droit au transport peuvent se retrouver sans… il est impossible de faire autrement… ».

Marc. Etienne Deslauriers, parent-bénévole et président du Comité de parents du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), s’est dit étonné par la brève réponse offerte à madame Filion. Dans sa réponse au Protecteur de l’élève, il écrit qu’il aimerait « avoir l’assurance que l’administration a bien vérifié qu’il n’y a pas, sur chacun des circuits de transport scolaire qui sont actuellement mobilisés pour l’école primaire St-Isaac-Jogues, une seule petite place qui pourrait être offerte à la jeune élève ».

Selon lui, le contexte de la COVID-19 n’élimine pas les responsabilités du CSSDM envers les parents.

Tout au contraire, la pandémie « révèle de façon évidente que la nouvelle gouvernance scolaire a des lacunes et que la structure actuelle n’est pas faite pour répondre à ces lacunes ».

Une réforme imparfaite

Le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge justifiait sa réforme scolaire en mentionnant les économies qui en découleraient. Il annonçait notamment que 160 professionnels pourraient être embauchés au Québec grâce aux économies réalisées avec la réforme.

Le cas de Mme Filion est, pour Marc. Etienne Deslauriers, une « belle illustration des conséquences de l’adoption de la loi 40 et de sa réforme de la gouvernance scolaire ».

Puisqu’il n’y a plus de commissaire scolaire, il n’y a plus non plus de commissaires parents. Avant l’adoption de la nouvelle loi, il y avait quatre parents qui siégeaient au conseil des commissaires, et deux au comité exécutif de la commission scolaire. Ces deux parents avaient directement accès à des réponses précises sur des sujets spécifiques.

« Tout ça, on l’a perdu. On l’a dit à l’automne 2019 que de perdre cet accès nous inquiétait et maintenant cette crainte se confirme », se désole le président du comité de parents.

Au moment du dépôt du projet de loi 40, le comité de parents s’était prononcé pour le retour des commissaires scolaires, estimant sa disparation comme une perte importante pour les parents.

Un comité impuissant

Le comité de parents a un mandat donné par la Loi sur l’instruction publique. Il fait parvenir l’avis des parents sur divers sujets au CSSDM.

« Quand les parents ont des demandes qui ne sont pas entendues, c’est nous qui les recevons. Devant rien, on est la situation de rechange. Mme Filion est un exemple d’un parent qui nous a appelé, car la direction d’école ne pouvait pas répondre à sa demande », explique Marc. Etienne Deslauriers.

M. Deslauriers affirme que la relation du comité de parents avec la direction générale du CSSDM est tendue. Souvent, il n’arrive pas à avoir de réponse ni même d’accusé de réception. Il ne comprend pas pourquoi.

Le président voudrait que son comité puisse faire avancer les choses, mais comme il n’y a plus de représentation politique avec la disparition des commissaires scolaires, tout ce qu’il reste est le palier administratif qui ne lui répond pas.

« On se retrouve dans le vide, on ne peut rien faire, s’attriste-t-il. Je ne me sens pas appuyé dans mon rôle par l’administration du CSSDM. J’ai l’impression de n’être qu’une épaule et une oreille qui écoute pour les parents. »

Le point de vue d’un ancien commissaire

André Gravel a été commissaire scolaire dans Ahuntsic-Cartierville de 2003 à 2014. Il était responsable de sept écoles dans l’arrondissement et connaissait très bien chacune d’entre elles. Il pouvait ainsi répondre aux problèmes qui survenaient. Il croit, comme Marc Etienne Deslauriers, que le projet de loi 40 et l’abolition du poste de commissaire, est une « erreur ». Il estime que cette réforme constitue une « centralisation » et une « bureaucratisation » qui « affaiblit le réseau de l’éducation et la démocratie ».

Un système de plainte

Questionné par le jdv sur la situation de Mme Filion, Alain Perron, responsable des relations de presse au CSSDM, indique que la procédure du traitement des plaintes se trouve sur le site Web du Centre de services.

Marc. Etienne Deslauriers, affirme qu’effectivement quand un parent a une difficulté, il peut passer par le système de plainte officielle, sauf que selon lui « les parents ne veulent pas porter plainte. Ils veulent des solutions à leur problème ». D’autant plus qu’il estime que la procédure de plainte est parfois « longue et lourde ».

« Si on est capable de passer outre le système de plainte, c’est toujours une meilleure solution », croit-il.

Finalement une solution

Pour revenir au problème de Mme Filion, il a fini par se régler le 30 septembre dernier.

« L’enfant habite à 1466 mètres de l’école Saint-Isaac-Jogues et n’est pas admissible au transport scolaire selon notre politique. Nous avons décidé d’octroyer une place dans un autobus à cette élève en dérogation à la politique », indique Alain Perron du CSSDM.

Or, pour finalement en arriver à cette solution, Édith Filion a dû multiplier les démarches. Elle a dû se rendre jusqu’à la députée provinciale Marie Montpetit pour obtenir son appui.

« Après que le président du comité de parents ait pris ma défense avec un courriel étoffé, plus de nouvelles de la protectrice de l’élève. Je me suis donc tournée vers la députée provinciale comme me l’a suggéré Émilie Thuillier. L’attaché de presse de Mme Montpetit est tout de suite intervenu! Il a contacté le CSSDM et m’a dit de le lui faire savoir si je n’avais pas de réponse d’ici une semaine. Une semaine et demie plus tard, pas de nouvelles, je recontacte donc le gentil monsieur. Tout devrait être réglé et ma demande acceptée dans les jours suivants. Mais rien n’est survenu. Il a dû intervenir encore une fois pour que ma requête soit enfin entendue et que j’obtienne une réponse positive du centre de services scolaire », raconte-t-elle.

Jonathan Boursier, attaché de presse de Mme Montpetit, abonde dans le même sens que Marc. Etienne Deslauriers.

« Avec la réforme de la CAQ, les gens ont perdu un interlocuteur important. Auparavant, les commissaires scolaires faisaient le pont entre la machine scolaire et les citoyens. Les gens ont perdu la personne clef qui les représentait dans ce système. Si les gens n’ont pas de réponses, ils ne savent pas trop vers qui se tourner », avance-t-il.

Jonathan Boursier affirme que c’est le rôle du Bureau de la députée d’intervenir et d’agir à titre de facilitateur pour répondre aux besoins des citoyens. C’est ce qu’il a pu faire dans ce dossier.

La discussion avec la personne responsable des transports au CSSDM a été fructueuse et ils ont pu aménager une solution. L’enjeu, dit M. Boursier, a été de trouver la personne à qui parler… mais il est conscient que « quand c’est le bureau de la députée qui appelle, ça accélère la réponse ».

Bref, si la saga de la demande de dérogation de Mme Filion a connu une fin heureuse, elle ne s’est pas faite sans efforts et reflète les lacunes d’un changement de gouvernance, et ce qui en résulte est imparfait. Et comme le croit le président du comité de parents, « c’est un genre de situation qui risque de se répéter ».



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