Elle tourne, la Terre! (Photo: Toma Iczkovits, collaboration spéciale)

Le 17 avril est la journée de la fête de l’Évacuation de la Syrie. Cette fête nationale commémore la date de l’indépendance de la Syrie envers la France quand les dernières troupes françaises ont évacué leur territoire en 1946.

Ce pays fait régulièrement les manchettes, notamment depuis l’arrivée de réfugiés syriens au Canada à partir de 2015. Le Journal des voisins avait par exemple présenté l’histoire d’une famille parrainée par des citoyens de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville en 2019.

Récemment, la Syrie et ses voisins, la Turquie et le Liban, ont subi une catastrophe naturelle qui a été largement couverte par les médias. Notre collaboratrice, Diane Éthier, politicologue, a présenté la situation dans sa chronique Elle tourne, la Terre! du journal imprimé (le Mag) du Journal des voisins d’avril-mai 2023. La voici, en version web.

La situation au Moyen-Orient n’est pas reluisante, c’est le moins que l’on puisse dire, surtout après les tremblements de terre du 6 février 2023 d’une puissance inégalée (7,8 sur l’échelle de Richter) et les répliques subséquentes. 

Coup d’œil sur trois pays de la région qui traversent des chapitres noirs de leur histoire.

Syrie

En Syrie, la situation est déplorable, car le nord de cet ancien protectorat français a également été affecté lourdement par les tremblements de terre du 6 février. 

Deux jours plus tard, France 24 rapportait notamment des dizaines d’établissements de santé détruits et plus de cinq millions de personnes sans abri dans la zone sinistrée, où des villages entiers ont été rayés de la carte. 

En plus, le pays est toujours aux prises avec la poursuite d’une guerre civile entre rebelles, djihadistes, et larmée du président dictateur Bachar el-Assad dans plusieurs régions du pays, qui a fait plus de 300 000 morts depuis son déclenchement, en 2011.

Damas est soutenue par la Russie et l’Iran. Signalons également que l’armée turque combat aussi les Kurdes dans le nord-ouest du pays, qui est tragiquement la région la plus touchée par le séisme.  

En outre, les pays occidentaux, qui sont hostiles au régime de Bachar el-Assad, sont moins enclins à aider ce pays que la Turquie. Cette situation fait en sorte que la reconstruction de la Syrie sera plus problématique que dans le pays d’Atatürk. Les Syriens devront composer encore longtemps avec un pays dévasté où la qualité de vie plus que difficile est marquée par une insécurité permanente. 

Après 16 années de guerre, qui ont été à lorigine de millions de déplacés et d’émigrants, les Syriens navaient vraiment pas besoin de cette catastrophe.

Rappelons que 3 470 personnes d’origine syrienne habitent Ahuntsic-Cartierville (soit 6,5 % de la population) selon les données du recensement de 2016.

Un puissant séisme s’est produit à la frontière entre la Turquie et la Syrie. (Photo: Toma Iczkovits, collaboration spéciale)

Turquie

La situation est évidemment catastrophique en Turquie, où les séismes ont entraîné plus de 45 000 décès et la destruction de 6 000 immeubles en Syrie et en Turquie, au moment d’écrire ces lignes, début mars.

Heureusement, la communauté internationale sest mobilisée. La France a envoyé des équipes de sauveteurs, avec chiens renifleurs, des pompiers et des vaccins anti-diphtérie et tétanos. Le Canada a donné 11 millions de dollars daide à la Turquie et a offert daccueillir des citoyens turcs et syriens. Quelques-uns sont dailleurs passés par le chemin Roxham

Dans les heures qui ont suivi le premier tremblement de terre, les États-Unis, sous la direction du président Biden, ont rapidement mobilisé les agences fédérales et leurs partenaires pour fournir durgence une assistance vitale, en étroite coordination avec leurs alliés turcs et les organisations partenaires en Syrie. 

Cette aide internationale suffira-t-elle à reconstruire ce pays détruit? Rien nest certain. Toutefois, la Turquie est un État prospère et il est dirigé par un gouvernement autoritaire, mais efficace dans ce domaine. La Turquie s’en remettra, bien que cela pourrait prendre des années.

À noter que de nombreux promoteurs ont été arrêtés dans les jours qui ont suivi le tremblement de terre. On les soupçonne d’avoir érigé des immeubles qui n’ont pas respecté le code du bâtiment, et même d’avoir corrompu des représentants de l’État.

La Turquie est le seul pays à cheval sur l’Europe et l’Asie. L’ancien Empire ottoman de 84,8 millions d’habitants est membre de l’OTAN et candidat à l’Union européenne. Elle ne reconnaît pas le génocide de sa minorité arménienne, qui a fait 1,5 million de morts en 1923, et est en conflit politique et armé avec sa minorité kurde depuis près de 40 ans.

Liban

Au Liban, qui a subi certaines secousses du séisme du 6 février, comme Chypre et Malte, la situation est moins catastrophique quen Turquie et moins déplorable quen Syrie. Mais elle est néanmoins très difficile. 

Selon Marie-Joëlle Zahar, libanaise et spécialiste du Moyen-Orient au département de science politique de lUniversité de Montréal, la crise économique persiste. La livre libanaise a perdu plus de 90 % de sa valeur contre le dollar américain. Il est aujourd’hui très difficile pour les Libanais de vivre décemment ou de trouver un emploi, 80 % de la population vivrait désormais sous le seuil de pauvreté, rapportait L’Obs, le 6 février dernier. 

En outre, le pouvoir politique est dans un vacuum, car il ny a plus de président et de gouvernement depuis plusieurs mois. «Le pays est dans un état de délitement quasi absolu. Nous vivons en direct un effondrement de toutes les institutions étatiques qui tenaient encore debout», écrivait Le Devoir, début février.

La plupart des Libanais ne peuvent plus retirer leurs avoirs des banques libanaises, en raison dun contrôle sur la fuite des capitaux, ce qui aggrave leur situation financière. France 24 nous apprenait, vendredi 17 février, que «des dizaines de Libanais ont détruit les vitrines des banques pour protester contre limpossibilité pour eux davoir accès à leurs comptes».

Lenquête sur lexplosion du port de Beyrouth en 2020, qui a fait plus de 200 morts et 4 000 blessés, est à lorigine dun conflit entre le juge Tarek Bitar, qui mène lenquête sur cette tragédie dune manière indépendante, et le procureur de la République, Ghassam Ouidate, qui cherche à préserver les élites politiques du pays. 

Parmi ces élites figurent des membres du Hezbollah et du parti chiite Amal de Nabih Berri, qui occupent une position importante au sein du gouvernement et qui, selon Marie-Joëlle Zahar, ont probablement des responsabilités dans laccueil (dans le port de Beyrouth) du navire qui transportait 2750 tonnes de nitrate dammonium, à lorigine de l’explosion. Tout cela incite les familles des victimes à penser que la justice nexiste pas dans leur pays.  

Le drame du Liban est évidemment la collusion et la corruption des élites politiques, quaucune des nombreuses manifestations dopposition de la population au cours des dernières années na pu résoudre. 

Le statu quo, issu d’un régime politique qui consacre le partage pluriconfessionnel et ethnique des institutions nationales, est directement issu de la guerre civile qui s’est déroulée entre 1975 et 1990, qui a fait 250 000 morts et causé l’exil d’un million de Libanais.

Plusieurs d’entre eux se sont installés dans Ahuntsic-Cartierville, où ils représentent 6,5 % de la population, ou 3 375 personnes (selon le recensement de 2016).

En attendant, dans le pays des Cèdres, on en est réduit à prier pour l’élection d’un président, comme l’invitait à le faire le patriarche maronite le jour de Noël dernier, alors que les ordures s’accumulent dans les rues de Beyrouth depuis… 2015.

Ce texte de la chronique Elle tourne, la Terre! a été publié dans la version imprimée du Journal des voisins, le Mag papier d’avril-mai 2023, à la page 38.



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