Les citoyens élus commissaires scolaires du territoire en 2014, Chantal Jorg et Mohamed Maazami, ex-élus scolaires (Photos; archives jdv)

Le gouvernement du Québec a aboli les commissions scolaires sous le bâillon un mois avant que le Québec ne soit mis sur pause à cause de la  pandémie, soit le 8 février. À l’origine, le mandat des commissaires devait se poursuivre jusqu’en mars, mais coup de théâtre! Bien que les commissaires devaient siéger et être rémunérés jusqu’en juin pour assurer la transition, ils ont appris du coup que leurs postes étaient également abolis le 8 février. Ils demeurent toutefois conseillers et sont rémunérés jusqu’en juin. Mais alors qu’on prépare la réouverture des écoles montréalaises, certains croient qu’on se coupe d’un précieux savoir-faire : celle des ex-commissaires scolaires.

C’est le point de vue de Chantal Jorg, ex-élue scolaire dans Ahuntsic Ouest-Cartierville. Mme Jorg représentait 52 000 contribuables avant la réforme menée par le gouvernement Legault, qui a aboli les commissions scolaires le 8 février.

Rappelons que les élections scolaires devant avoir lieu en 2018 avaient été reportées en 2020. Les précédentes élections scolaires avaient eu lieu en 2014.

Le mandat des élus scolaires a pris également fin en février, dans la controverse (la loi a été adoptée sous le bâillon et les élus scolaires menaçaient de poursuivre le gouvernement).

« Pour moi, le gouvernement a agi dans l’improvisation avec cette réforme, commente Mme Jorg. On ne sait pas encore comment la transition va s’organiser entre les anciennes et les nouvelles structures. Nous sommes en pleine pandémie. Comment les comités de parents vont-ils nommer leurs représentants aux conseils scolaires? Les anciens élus scolaires n’ont plus de pouvoirs, mais on ne sait pas encore quels seront ceux des nouveaux conseils d’administration des centres de service et des écoles. »

Certains ex-élus scolaires, dont Mme Jorg, estiment que le vide actuel de gouvernance, en contexte de pandémie, mène à une centralisation qui rappelle la réforme Barrette [dans le réseau de la santé]. Or, selon plusieurs experts, la centralisation de cette réforme en santé a accentué les effets de la pandémie en CHSLD, qui sont devenus les principaux foyers d’infection.

« Actuellement, toutes les décisions relèvent du ministère, insiste Mme Jorg. Il n’y a pas de contre-pouvoirs. La CSDM représentait ce contre-pouvoir, qui remontait aux années 1800. »

Se couper d’un savoir-faire

« Nous [les commissaires] étions tous très engagés dans notre quartier, affirme Chantal Jorg. On sait ce qui se passe sur le terrain, dans les quartiers. On a le pouls de la population. Je crains qu’avec cette réforme et la centralisation qui vient avec, on se retrouve avec des décisions qui viennent d’en haut. Car les fonctionnaires, à Québec, sont loin des quartiers où se trouvent les écoles. Les besoins sont différents entre la Côte-Nord et Ahuntsic-Cartierville. »

Ce point de vue a d’ailleurs fait l’objet d’une lettre publiée dans le Devoir le 1er mai, signée par l’ex-présidente de la CSDM, Catherine Harel Bourdon, et une foule d’ex-élus scolaires. On y dénonce la tendance centralisatrice de la réforme, qui donne des pouvoirs importants au ministre. La lettre dénonce également le fait qu’on ne sollicite pratiquement plus les ex-élus scolaires, dont le savoir-faire compte durant une crise comme celle de la Covid-19.

Chantal Jorg abonde en ce sens :

« On ne nous consulte plus, on nous a tablettés, alors qu’avec la pandémie, il va manquer de professeurs et de personnel lorsque les écoles vont rouvrir dans quelques semaines, et même en septembre. On vivait déjà une pénurie de main-d’œuvre avant la pandémie : ça va être pire avec le déconfinement.  Les conseils scolaires ne sont pas encore constitués, il n’y a plus de véritables décideurs locaux et des non-élus décident de tout, reprend Mme Jorg. Je respecte énormément les directeurs généraux des ex-commissions scolaires devenues centres de service, mais nous, on avait le pouls de la population. On connaît intimement les enjeux des quartiers. Dans la situation actuelle, on a un système chambranlant. Et on a besoin de tout, sauf d’un système chambranlant.»

Mme Jorg craint que les problèmes qui existaient avant la pandémie demeurent : sous financement, pénurie de main-d’œuvre, manque d’espace, écoles délabrées, sous-équipées et surpeuplées.

« Nous, les ex-élus, on a une expertise, une opinion sur ces sujets. Mais on ne sert plus à rien. Tout ce que je peux faire, c’est donner des entrevues à des journalistes. »

La réforme est toujours aussi controversée

Les ex-élus scolaires ne sont pas les seuls à parler d’improvisation autour de la réforme scolaire pilotée par le gouvernement Legault.

Sollicités de manière anecdotique sur la page Facebook du Bazar Ahuntsic, de nombreux parents et citoyens dénoncent cette réforme alors que l’implantation de la nouvelle structure des centres de services est suspendue, au profit des anciennes commissions scolaires désormais dirigées par les fonctionnaires non élus (ni par les contribuables ni par les parents).

Mais pour la majorité des parents, les vrais enjeux, ce sont la santé de leur famille, du personnel scolaire et les méthodes sanitaires qui seront appliquées à la réouverture des écoles.

Petit retour sur la réforme des commissions scolaires

  • Le 8 février disparaissaient les commissions scolaires. Ces dernières sont désormais des centres de services, chapeautés par un conseil d’administration composé de cinq parents (nommés par les comités de parents), cinq membres du personnel scolaire et cinq personnes issues de la collectivité (nommés eux aussi par les comités de parents, mais selon des critères et expertises spécifiques).
  • Le conseil d’établissement de chaque école est formé de quatre parents (élus par le comité de parent), quatre membres du personnel scolaire (dont au moins deux enseignants, un du personnel professionnel non enseignant et un autre du personnel de soutien, élus par leurs pairs), deux représentants de la communauté, un représentant du service de garde (là où ce service est offert) et deux élèves du second cycle (au secondaire).
  • Les élus scolaires actuels siègent (et sont rémunérés) jusqu’au 30 juin, pour assurer la transition.
  • Les anglophones conservent leurs élus scolaires (pour respecter la constitution canadienne).
  • S’ils vivent un problème à l’école, les parents peuvent se plaindre auprès de la direction de l’école. Si le problème persiste, ils contactent le secrétariat du nouveau centre de services ou peuvent s’adresser au Protecteur de l’élève (qui n’a qu’un pouvoir de recommandation).
  • Les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage perdent leur représentant désigné au conseil d’administration du nouveau centre de service.



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