Les aînés, eux-mêmes touchés par la crise du logement et l’inflation, ne sont pas à l’abri de l’itinérance. Celle-ci vient par ailleurs les affecter différemment, notamment par un manque de ressources adaptées à leurs besoins.
Selon une étude menée par l’Université de Montréal en 2018, pas moins de 38 % des personnes en situation d’itinérance seraient âgées de 50 ans et plus. Si la définition commune des aînés concerne plutôt les 65 ans et plus, notons que l’espérance de vie dans la rue n’est pas la même. Au Québec, les hommes vivent jusqu’à 81 ans et les femmes jusqu’à 84 ans.
Dans la rue, les personnes itinérantes décèdent bien en deçà de cette moyenne puisque leur espérance de vie moyenne n’excède pas 39 ans, selon une donnée avancée en 2021 par Valérie Bourgeois-Guérin, professeure du département de psychologie à l’Université de Montréal. Vivre dehors entraîne en effet de nombreux problèmes de santé, accentuant ce phénomène. Notre hiver particulièrement rude ne fait qu’empirer la tendance.
Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) témoigne par ailleurs d’une recrudescence des personnes âgées dans la rue. «L’itinérance a de nombreux visages, mais on voit vraiment un changement dans l’âge des personnes qu’on observe dans la rue actuellement», confirme Maryane Daigle, organisatrice communautaire au RAPSIM.
Plus vulnérables
Les personnes âgées vivent en effet les mêmes problématiques que le reste de la population. Elles sont elles aussi touchées par la crise du logement, l’inflation et les nombreuses mauvaises surprises de la vie. Les raisons pour lesquelles elles se retrouvent en situation d’itinérance sont donc les mêmes (perte d’emploi, de logement, violence conjugale, etc.).
En 2018, le département de psychologie de l’Université de Montréal a publié une étude des problématiques de santé chez les itinérants. Celle-ci a montré que des maladies, telles que l’Alzheimer ou l’arthrite, surviendraient de 10 à 15 ans à l’avance chez ces personnes. Les conditions de vie, déjà difficiles, s’empirent alors.
Un constat que partage largement RAP Jeunesse, seul organisme communautaire d’Ahuntsic-Cartierville dédié aux personnes en situation d’itinérance. «La grande majorité des personnes qui fréquentent nos services ont 45 ans ou plus. On observe un vieillissement de plus en plus important ces dernières années. Depuis que je suis arrivé à RAP Jeunesse, en 2020, quatre personnes sont mortes de leurs conditions de vie à moins de 60 ans…», déplore René Obregon-Ida, directeur de l’organisme.
Le dernier décès connu remonte à trois mois à peine. Un itinérant de 68 ans, sans famille, a fini par mourir seul à l’hôpital après avoir été admis aux urgences. Un drame qui risque de devenir de plus en plus fréquent sans établissements adaptés à cette population particulièrement fragile.
En outre, les personnes âgées et itinérantes sont d’autant plus susceptibles d’être victimes de vols et d’agressions, car elles sont plus vulnérables. Les conditions de vie en refuge ne sont pas non plus adaptées à leurs besoins.
Dormir sur un lit de camp n’est jamais facile, mais devient d’autant plus problématique pour les aînés. De plus, les refuges offrent souvent des hébergements situés en sous-sol, lieux généralement humides et froids.
Un manque de ressources en gériatrie
Tous les intervenants des ressources d’aide aux personnes itinérantes s’accordent pour le dire: les centres d’hébergement doivent être adaptés aux besoins des aînés. Aujourd’hui, seule la Maison du Père, un organisme de résidence pour les hommes âgés de la rue, offre des solutions pour cette catégorie d’âge à Montréal.
Située dans le Vieux-Montréal, cette résidence propose en effet dix lits de soins aigus (dont les soins palliatifs et d’oncologie). La Maison du Père constitue également le seul centre d’hébergement entièrement adapté aux personnes à mobilité réduite. Depuis le 20 décembre 2023, quelque 20 lits se sont ajoutés en hébergement d’urgence pour les aînés aux problèmes de santé chroniques.
Les coûts des soins ne cessent d’augmenter depuis la pandémie, rendant complexe l’assurance de pouvoir les dispenser aux aînés itinérants. La Maison du Père reçoit une aide gouvernementale qui permet de couvrir 26 % des soins dispensés à la résidence. Or, ce soutien gouvernemental n’a augmenté que de 1,8 % en 2023. «Cette subvention ne suit finalement pas l’augmentation des coûts des soins», conclut Manon Dubois, directrice du développement à la Maison du Père.
Maryane Daigle souligne également que «certains itinérants ont vécu des traumatismes lors de soins hospitaliers», rendant complexes d’autres visites possibles. Les soins de proximité sont donc priorisés à l’heure actuelle pour les personnes aînées et itinérantes.
À Ahuntsic-Cartierville, des infirmiers du CIUSSS du Nord-de-l’Île visitent par exemple le centre de jour de RAP Jeunesse tous les mardis, de 9 h à 14 h. Là, les itinérants peuvent retrouver les premiers soins pour, notamment, traiter coupures et autres blessures.
Les infirmiers offrent également un accompagnement sur place, pour l’inscription au régime de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Les ressources en gériatrie sont cependant inexistantes pour les itinérants, au sein de notre arrondissement.
Ce texte du dossier Itinérance a été publié dans la version imprimée du Journal des voisins, le Mag papier de février-mars 2024, à la page 14.
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