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Amine Esseghir vient de publier Revenir entier aux Éditions de l’Apothéose. (Photo: courtoisie A. Esseghir)

Amine Esseghir, journaliste au sein de la rédaction du Journal des voisins, signe un livre témoignage. Dans Revenir entier, il livre son histoire de journaliste devenu soldat durant la guerre civile dans son Algérie natale. 

Mars 1994. Amine Esseghir a 27 ans. Il est journaliste à Alger. Après avoir repoussé l’échéance longtemps, il doit se résoudre à répondre à son obligation de service militaire comme tous les hommes à cette époque. Alors que la guerre civile fait rage depuis deux ans entre l’armée nationale et divers groupes islamistes, il quitte ses proches pour plusieurs années.

En 185 pages, notre confrère raconte. Il se raconte. Il raconte les autres. Il raconte son expérience au cœur de cette guerre sanglante et fratricide. Tandis que l’Algérie portait déjà les stigmates de celle menée trente ans auparavant contre la France, pour obtenir son indépendance, le pays se trouvait à nouveau divisé. Son point de vue personnel n’a pas la prétention de refaire l’histoire, mais de libérer une parole muselée dès la fin de cette «Décennie noire». Entrevue avec Amine Esseghir.

À noter : vous pouvez rencontrer l’auteur de Revenir entierUn appelé dans la guerre contre le terrorisme islamiste en Algérie, ce jeudi 23 novembre au Salon du livre de Montréal. Rendez-vous au kiosque des Éditions de l’Apothéose, au Palais des congrès, de 15 h à 18 h pour une séance de dédicaces.

Amine Esseghir au Salon du livre de Montréal, le jeudi 23 novembre 2023. (Photo: Anne Marie Parent, JDV)
JDV: À quoi ressemblait votre jeunesse en Algérie ?

Amine Esseghir: Je suis né à Alger en 1966. J’ai eu la chance de grandir dans une famille avec des parents qui savaient lire et écrire, ce qui n’allait pas de soi à cette époque. Ils ont fait des études et étaient enseignants quand je suis né. C’était des gauchistes convaincus qui m’ont élevé dans un quartier populaire en m’éveillant à la prise de conscience, à la lecture…

Pourquoi avoir choisi de devenir journaliste ?

C’est le métier que je voulais faire. Après l’obtention de mon bac* en 1986, dans un système socialiste où la presse n’était pas libre, on m’a déconseillé de suivre cette voie. J’ai donc fait des études d’histoire et d’archéologie. Lorsque j’ai terminé l’université, le pays avait connu un changement majeur avec l’ouverture politique et la constitution de nouveaux partis. La presse n’était plus muselée et j’ai décidé de tenter ma chance au journal Le Soir d’Algérie. J’ai commencé en tant que reporter aux faits divers.

* Baccalauréat comme en France, soit l’équivalent du diplôme d’études collégiales au Québec.

À quoi ressemblait le métier de journaliste dans ce nouveau contexte ?

La presse, à cette époque, a connu une période glorieuse avec une liberté qui n’existait pas dans le reste du monde arabe. On écrivait en français et en arabe, sur des sujets qui touchaient la population alors que le pays était dans une crise économique noire. Il y avait tellement de crises différentes, une ouverture politique dans un contexte d’incertitude, une crise religieuse… que la guerre ne pouvait qu’éclater.

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Amine Esseghir en uniforme, en 1996. (Photo: courtoisie Amine Esseghir)
Justement, dans ce livre vous racontez comment vous avez réussi à retarder votre service militaire. Dans quel état d’esprit étiez-vous en entrant dans l’armée en 1994, quatre ans après le début de la guerre civile ?

Je n’avais plus le choix. Et puis je savais que j’étais une cible en tant que journaliste à Alger, alors que de nombreux confrères ont été tués.

Dès le début j’ai eu le sentiment d’être finalement plus à l’abri au sein de l’école des officiers où j’ai retrouvé une fraternité, que si j’étais resté journaliste.

Après quelques péripéties, dont un passage par les arrêts pour désertion, vous êtes affecté à un bataillon de combattants…

Oui. Là on m’envoie à la guerre, la vraie. Tout le pays était à feu et à sang, personne n’était à l’abri. En tant que militaire au sein de l’armée nationale, j’étais une cible pour les islamistes, mais au moins j’avais une arme pour me défendre. Je n’ai pas voulu raconter des histoires à la Rambo, ce n’est pas ça qui est intéressant. Quand j’ai commencé à écrire, j’ai fait une liste de treize moments qui m’ont marqué et dont je me souviens dans le détail. Ce sont toutes ces histoires que je voulais partager. D’autres sont apparues au cours de l’écriture, ce qui fait qu’il y en a un peu plus. Je raconte notamment des histoires de femmes dans un chapitre qui leur est consacré. C’est sans doute le plus important pour moi, car la guerre est jouée par les hommes. On parle très peu des femmes alors qu’elles étaient bien présentes et ont subi beaucoup de choses terribles, sans doute plus que nous.

Pourquoi avoir décidé de partager le récit de ces années difficiles au sein de l’armée, et celui des personnes qui ont croisé votre route ?

Quelques années après la fin de la guerre, en 2005, le président Bouteflika a signé la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. C’est une loi scélérate qui a amnistié des milliers d’islamistes des actes commis pendant la guerre. Elle a empêché la population de parler et la société de panser ses blessures, de reconnaître les responsabilités et les souffrances avant de pouvoir se reconstruire. Ce livre n’est pas tant pour parler de moi, mais pour raconter ces histoires de vies qui ont croisé mon chemin, leur donner une voix. Je pense que c’est fondamental avant de passer réellement à autre chose. J’ai pu le faire grâce à la bourse que j’ai obtenue du Conseil des arts du Canada, et surtout grâce à ma femme qui est celle qui m’a poussé à raconter cette histoire.

Vous habitez au Québec depuis plus de 12 ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à partir et quel lien entretenez-vous avec l’Algérie ?

Un des éléments majeurs qui m’a poussé à partir est cette laide réconciliation nationale. Je savais qu’on entrait dans une société qui allait se replier sur sa douleur. La censure de la presse était devenue la norme. Une centaine de journalistes avaient été tués, et le grand quotidien dans lequel je travaillais à mon retour à la vie civile n’était plus distribué que dans les grandes villes. Aujourd’hui, l’Algérie reste mon pays de naissance, ma culture; j’en garde la cuisine, la musique, plein de choses, mais le lien n’existe presque plus. Mon dernier lien était ma mère, et elle est morte en 2019.

Le livre d’Amine Esseghir est publié aux Éditions de l’Apothéose.
Vous avez un fils, a-t-il lu votre livre ?

Oui ! Il l’a lu, et on en a parlé. Je pense que ça lui a permis de comprendre certaines choses. C’est un sujet dont je parle très peu. Tu reviens de la guerre avec un syndrome de stress post-traumatique, mais tu ne le sais pas à ce moment-là, d’autant qu’à cette époque je ne connaissais même pas ce terme. Mais le temps a fait son œuvre, j’ai réglé ce qui devait l’être et tout ça appartient au passé, même si je suis heureux d’avoir pu l’écrire.

Revenir entier — Un appelé dans la guerre contre le terrorisme islamiste en Algérie, par Amine Esseghir, Les Éditions de l’Apothéose, est en cours de livraison dans les librairies de Montréal. Il est également publié en France aux Éditions L’Harmattan.

Amine Esseghir est journaliste au Journal des voisins depuis le printemps 2022.



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