Élèves et parents se rendant à l'école St-André-Apôtre à pied (Photo : Philippe Rachiele, JDV)
Élèves et parents se rendant à l’école Saint-André-Apôtre à pied. (Photo : Philippe Rachiele, JDV)

Parents, écoliers et brigadiers se remettent lentement de leurs émotions, à la suite du décès de la petite Mariia Legenkovska fauchée par un automobiliste dans le Centre-Sud. Ici, dans Ahuntsic-Cartierville, la collision – heureusement non mortelle – dont a été victime la brigadière heurtée par une voiture dans le Sault-au-Récollet a cristallisé les souhaits des parents de mettre fin à l’hécatombe. Voilà qu’une manifestation à l’échelle nationale s’organise pour mardi matin. La sécurité autour des écoles en sera l’élément central un peu partout sur le territoire québécois.

De nombreux parents pressent Québec d’adopter une stratégie nationale pour prévenir les accidents autour des écoles. Mardi 24 janvier, en cette Journée internationale de l’éducation, parents et enfants, un peu partout au Québec, sont invités à se présenter devant les écoles peu avant l’ouverture pour réclamer du gouvernement du Québec et des municipalités une stratégie en matière d’aménagements sécuritaires autour des établissements scolaires.

Des parents des écoles La Visitation, Christ-Roi, Fernand-Seguin et Louis-Colin, notamment, font partie de ceux qui seront au rendez-vous à cette manifestation nationale dont le slogan est : « Mettons fin à l’insécurité routière en zone scolaire. Le 24 janvier, la fin de la récré a sonné. » Les horaires variant selon les écoles, les parents sont priés d’arriver de 15 à 30 minutes avant le début des classes.

Dans Ahuntsic-Cartierville, les parents ont été interpellés notamment sur les groupes Facebook de l’Association mobilité active Ahuntsic-Cartierville (AMAAC) et Ahuncycle, en plus d’être informés par certains comités de parents des écoles du territoire. Accès transports viables, Coalition mobilité active Montréal et Piétons Québec appuient l’initiative.

« Nous réclamons sans tarder des aménagements sécuritaires en zones scolaires inscrits dans une stratégie gouvernementale en sécurité routière », peut-on lire dans le communiqué d’un nouveau regroupement national des citoyens, nommé Mouvement Pas une mort de plus, qui invite à l’action.

Les demandes sont ciblées : des rues-écoles (sans voitures dans les environs immédiats, aux heures d’entrée et de sortie des écoliers), des bollards (balises), des sens uniques, des pistes cyclables, des dos d’âne ou tout autre aménagement afin d’assurer la sécurité des enfants lorsqu’ils utilisent les modes de transport actif pour se rendre à l’école. Le regroupement demande également davantage de surveillance policière ainsi que des peines sévères pour les infractions.

Slogan manifestation du 24 janvier 2023
Slogan de la manifestation du 24 janvier 2023

Sécurisée, mais toujours chaotique

Nadine Benny est maman de deux enfants à l’école La Visitation. Elle a participé à une première manifestation en décembre pour les mêmes revendications. Depuis trois ans, elle fait partie du Trottibus, un système de marche à pied de parents bénévoles qui accompagnent les enfants pour se rendre à l’école. Deux fois la semaine, c’est au tour de Nadine Benny de conduire un des six groupes du Trottibus de cette école. Les autres jours, d’autres parents font de même.

À l’école La Visitation, il existe deux problématiques de sécurisation des environs de l’établissement, notamment pour les écoliers qui habitent au nord du boulevard Henri-Bourassa. C’est le cas des enfants de Mme Benny. Matin et soir, ses petits avec le Trottibus doivent traverser cette grande artère alors que certains véhicules grillent carrément le feu rouge.

Une fois la traversée complétée, la sécurisation des environs immédiats de l’école pour les écoliers à pied est la même que pour les autres établissements scolaires en-dehors des grandes artères.

Qu’il s’agisse de sécuriser les déplacements des enfants pour traverser le boulevard Henri-Bourassa, ou conduire les enfants à l’école de l’autre côté du boulevard jusqu’à l’école, le problème rester entier : ce sont les voitures qui, de façon générale, posent problème.

« La première année, j’allais conduire mon enfant en voiture. Mais je n’aime pas aller à l’école en auto. Ce n’est pas pratique, dit-elle. C’est compliqué! Je comprends que d’autres parents n’ont pas le choix, mais quand on reste à moins d’un kilomètre de l’école, faire le trajet à pied avec les enfants, ça fait bouger! » ajoute celle qui, par la suite, file en transport en commun jusqu’à son travail.

Mariia Legenkivska marche
Nadine Benny à l’angle de la rue Séguin et du boulevard Henri-Bourassa, près de l’école La Visitation, manifestant le 16 décembre 2022 à la suite du tragique décès de la petite Mariia Legenkovska happée par un chauffard. (Photo : François Robert-Durand, JDV)

Mesures de sécurisation

L’école La Visitation a fait l’objet de mesures de sécurisation en 2021. Le stationnement est par ailleurs proscrit sur la rue Prieur qui jouxte l’école. En entrevue au Journaldesvoisins.com (JDV), Mme Benny fait remarquer que mercredi dernier (alors que la neige avait été ramassée dans la plupart des rues), les problèmes des voitures devant l’école, c’était spectaculaire! lance-t-elle.

« On ne peut pas faire de vitesse devant l’école, mais les risques sont quand même là, notamment quand les enfants passent entre les voitures. Il fallait voir le nombre de voitures venues cueillir les enfants mercredi. Sur toute la rue devant l’école, des autos étaient stationnées en double. Le passage pour piétons était bloqué. »

Elle ajoute : « Les automobilistes sont dans leur bulle! Le syndrome de la porte (de l’école) existe! » Comme quoi les parents ont cette fixation de déposer leurs enfants vraiment devant la porte de l’école, alors que ça pourrait être à quelques mètres plus loin.

Pour régler la question et mieux sécuriser les environs de l’école et la traversée du boulevard, Mme Benny croit qu’une présence policière accrue sur les grandes artères notamment est nécessaire. Elle souligne également que l’engagement des élus dans ce dossier est très important. Elle-même participera à la manifestation mardi en marchant jusqu’à l’école avec les enfants.

La semaine dernière, le JDV a procédé à des relevés de vitesse dans des zones scolaires à la sortie des classes. Le constat est sans appel : plus de deux automobilistes sur trois roulaient plus vite que la vitesse permise. (Photo : François Robert-Durand, JDV)

Le « méchant » : pas l’automobile en soi, mais son conducteur

Kassandre Chéry-Théodat est maman de deux enfants qui fréquentent également l’école La Visitation; elle est en outre présidente du conseil d’établissement cette année. « Les parents sont mobilisés, un peu inquiets avec les questions de sécurité sur le chemin de l’école pour nos enfants, mais aussi, et surtout avec ce qui est arrivé à la brigadière récemment », souligne Mme Chéry-Théodat.

Mme Chéry-Théodat a pris rendez-vous avec l’agent sociocommunautaire du PDQ-27 pour discuter de la question jeudi dernier. Elle a également lancé une pétition demandant à la Ville de Montréal d’organiser une consultation publique. Jusqu’à présent, la pétition a obtenu les signatures nécessaires pour que la demande soit acheminée. Pour la présidente du conseil d’établissement, c’est un enjeu qui touche toute la population.

Le matin, quand les parents déposent leurs enfants en voiture – ce qu’elle fait elle-même pour le moment –, elle a pu observer plusieurs manœuvres dangereuses de la part même de parents qui viennent également en voiture conduire leurs enfants à l’école. Et, dit-elle, la situation s’est exacerbée.

Comme elle siège aussi au conseil de toutes les écoles montréalaises, Mme Chéry-Théodat a pu entendre des commentaires semblables de membres en provenance d’autres écoles et d’autres arrondissements : les manœuvres dangereuses devant les écoles sont légion, partout. « C’est répandu! dit Kassandre Chéry-Théodat. C’est pour ça que la mobilisation est importante. Je pense que cette manifestation va vraiment lever un drapeau rouge. »

Quant à sortir les voitures des zones scolaires, elle croit que la sensibilisation des conducteurs est plus importante : « En matière de solutions, le méchant, ce n’est pas l’automobile! Il faut vraiment s’attaquer au comportement des conducteurs et y ajouter le marquage au sol, les dos d’âne, plus de présence policière, etc. »

Infrastructures, modes de transport à repenser

Selon Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec, le problème de la sécurité des écoliers autour des écoles est un cercle vicieux. « Les parents doivent faire partie de la solution, dit-elle. Ils doivent comprendre que leurs propres déplacements peuvent faire partie du problème. Ils sont inquiets et donc vont reconduire leurs enfants en voiture à l’école. Cette motorisation augmente le nombre de véhicules autour de l’école. »

Pour la directrice générale de Piétons Québec, les solutions au problème de sécurisation des écoles doivent s’inscrire dans un cadre plus global. « Le travail doit se faire sur les modes alternatifs de transport, dit-elle encore. L’offre de transport collectif doit être pensée. Il faut réfléchir quant à la chaîne de déplacements. Il ne faut pas que l’on se limite à intervenir seulement aux abords des écoles », dit-elle encore.

Mme Cabana-Degani suggère toutefois d’aménager des infrastructures autour des écoles pour contribuer à la solution : les rues-écoles en sont une à l’heure de pointe. Elle ajoute les saillies de trottoirs, les dos d’âne, la circulation inversée, les écoles qui jouxtent un parc et pour lesquels la municipalité peut carrément fermer le bout de rue qui conduit au parc…

Elle constate une certaine sensibilité de la part des élus à mettre en place des aménagements plus sécuritaires autour des écoles. « Il y a une réflexion de société qui s’impose », conclut-elle. Piétons Québec participera à la manifestation nationale mardi.

Responsabiliser les conducteurs

Interrogé au sujet des mesures que le gouvernement caquiste devrait mettre en place pour assurer la sécurité des écoliers aux abords des écoles, André A. Morin, porte-parole de l’opposition officielle en matière de transports et de mobilité durable et député de la circonscription de L’Acadie, a déclaré au JDV : « En général, je pense qu’il faut continuer la sensibilisation et la responsabilisation des automobilistes, car il y a, je pense, augmentation des décès des piétons. »

Précisant que Québec devait travailler de concert avec les municipalités, le député de L’Acadie suggère quelques mesures concrètes : dans des secteurs particuliers, contrôler la vitesse des automobilistes au moyen de radars-photos; aménager sécuritairement des passages pour piétons; assurer la présence de brigadiers bien visibles aux intersections les plus importantes; demander une présence policière en ces lieux également; sensibiliser les écoliers à la cohabitation prudente avec les véhicules sur le chemin de l’école; faire en sorte que la signalisation indiquant la présence d’enfants, dans les secteurs scolaires, soit installée adéquatement et visible par les conducteurs de véhicules et, finalement, augmenter les amendes données aux automobilistes délinquants en vertu du Code de la sécurité routière.

« Je comprends l’inquiétude des parents quand ils savent que leurs enfants doivent marcher pour se rendre à l’école », a ajouté M. Morin, invoquant l’importance pour les automobilistes de s’assurer qu’ils sont entièrement disponibles et attentifs au moment de prendre le volant.

Réagissant à une question du JDV sur une demande formulée par le mouvement des citoyens à l’effet de mettre en place des rues-écoles fermées à la circulation automobile, M. Morin a déclaré : « Ce sont des mesures qui doivent être prises par les municipalités. » Il ne se prononçait pas contre l’idée, suggérant par ailleurs que cela pourrait être envisagé tout dépendant des secteurs.

« Comme critique de l’Opposition en matière de transports, j’assure évidemment un suivi sur toute cette question », conclut M. Morin.

CPE et écoles : même combat!

Haroun Bouazzi, député de la circonscription de Maurice-Richard pour Québec solidaire, a déjà eu l’occasion de se colleter avec un problème de sécurisation autour du CPE qu’a fréquenté une de ses filles il y a plusieurs années. C’était en 2010.

Démarches et pétition des parents des quelque 85 enfants qui fréquentaient le CPE n’auront pas donné gain de cause aux intéressés. Les ingénieurs de la Ville ont prétexté qu’un panneau d’arrêt ne pouvait être modifié, invoquant, dit le député, « la fluidité de la circulation ».

M. Bouazzi relève que plusieurs solutions en matière de sécurisation peuvent émaner des municipalités et que la Ville de Montréal s’y emploie depuis quelques années. Il voit toutefois trois axes de réflexion qui s’imposent et sur lesquels Québec peut agir pour améliorer la sécurisation autour des écoles : corriger le financement déficient aux municipalités par Québec; donner plus de mordant au Code de la route; et, finalement, réduire l’étalement urbain et arrêter d’allonger des autoroutes.

« Les villes n’ont pas assez d’argent pour leurs ambitions », dit-il, citant notamment le fait que le transport en commun n’est pas suffisamment financé par Québec et que cela fait partie du problème. Il ajoute : « Nous sommes également dus pour une réflexion quant au Code de la route et à son non-respect. Il faut l’améliorer pour pouvoir sauver des vies! Nous avons une poignée directe sur le Code! »

Enfin, le député souligne le fait que l’étalement urbain contribue au nombre d’autos qui sillonnent nos rues et que l’allongement des autoroutes doit être revu, faisant référence notamment à la circulation de transit qu’amène l’autoroute 19 sur la rue Papineau et autres. « Il faut éviter, dit-il, que les espaces de vie soient des espaces de transit. »

Au chapitre des mesures d’apaisement de la circulation et de la sécurisation autour des écoles, incluant les rues-écoles, le député de Maurice-Richard souligne : « Je fais partie des gens qui pensent que toutes solutions pour protéger les enfants devraient être envisagées », ajoutant que le gouvernement du Québec doit faire confiance aux spécialistes de la Ville sur la question de la sécurisation routière.

Pas facile, les rues-écoles

Cette année, les environs immédiats de six écoles seront sécurisés par l’arrondissement. Ce sont les écoles Atelier, Fernand-Seguin, Our Lady of Pompei, Saint-Isaac-Jogues, Sainte-Odile et Sainte-Odile – Annexe. En 2021, quatre écoles d’Ahuntsic-Cartierville ont bénéficié du financement du Programme de sécurisation aux abords des écoles (PSAÉ).

Selon Emilie Thuillier, mairesse de l’arrondissement, ce programme mis sur pied par la Ville en 2020 sera désormais un programme dit « régulier » avec le financement nécessaire. Toutes les mesures de sécurisation du PSAÉ font partie d’un budget d’investissement « en dur », souligne Mme Thuillier, c’est-à-dire qu’il correspond à des structures à construire.

Concernant la demande de rues-écoles par le regroupement de citoyens, Emilie Thuillier signale que mettre sur pied un projet de rue-école est extrêmement lourd à réaliser. Bien que le projet-pilote de rue-école devant l’école Saint-Benoît soit un succès, le vendredi, il s’agit avant tout d’un projet de recherche tenu à bout de bras par des partenaires, notamment l’école elle-même, le Centre d’écologie urbaine et des parents bénévoles, déclare-t-elle.

Dans l’arrondissement, aucun nouveau projet-pilote de rue-école ne se profile à l’horizon pour le moment. La mairesse souligne qu’un projet semblable doit avant tout être porté par l’école concernée et la communauté environnante, nécessitant notamment plusieurs bénévoles. « Mais si une école en veut une, lance Mme Thuillier, nous serions bien contents à l’arrondissement de les accompagner dans cette démarche. »



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