Agriculture urbaine: Teresa Rabiasz travaille dans l’un des espaces de la Centrale agricole. (Photo: Toma Iczkovits, collaboration spéciale)

Nous vous présentons le dossier sur l’agriculture urbaine publié dans le Mag papier, la version imprimée du Journal des voisins d’avril-mai 2023. Notre rédacteur en chef constate que le quartier Ahuntsic est un chef de file au Canada.

Montréal est la capitale canadienne de la mode, une des places fortes mondiales des jeux vidéo, de l’intelligence artificielle, des effets spéciaux de cinéma et de l’aéronautique. La métropole du Québec abrite aussi le plus grand nombre d’organisations internationales au pays. C’est la plus importante ville cyclable en Amérique du Nord. De plus, fait peu connu, elle est rapidement devenue la Mecque canadienne de l’agriculture urbaine. Et ça se passe dans Ahuntsic.

De 2009 à 2019, le secteur agroalimentaire montréalais a connu une croissance annuelle moyenne de 9,1 %. Il pèse pour 3,2 % du PIB du grand Montréal, selon une étude sectorielle de 2022 de la Ville de Montréal. Un peu plus de 11 % des emplois de ce secteur économique se concentrent dans Ahuntsic-Cartierville, selon Statistique Canada (recensement de 2016). Une majorité des entreprises de cette filière (66 %) compte quatre employés ou moins.

Le nombre d’entreprises agricoles urbaines commerciales au Québec croît en moyenne de 30 % depuis le début des années 2000, selon le Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB) affilié à l’UQAM. Le cap des 1 000 emplois aurait été dépassé en 2020, selon le Carrefour de recherche, dexpertise et de transfert en agriculture urbaine (CRETAU). Dici 2025, le nombre demplois pourrait dépasser les 13 500, selon AU/LAB.

En 2020, l’agriculture urbaine a généré des revenus de 380 millions $, pour un taux de croissance annuel moyen de 19 % entre 2015 et 2020, selon une étude de 2022 du CRETAU.

Les agriculteurs domestiques (les citoyens) génèrent 59 % de ventes, suivis par les entreprises puis le communautaire. Le CRETAU estime que les revenus directs de la filière québécoise s’élèveront entre 554 et 730 millions d’ici trois ans!

Ainsi, le Québec compte aujourd’hui 14 fermes sur le toit, une quarantaine de fermes urbaines, 8 poulaillers collectifs, 73 poulaillers individuels, 412 ruchers (regroupant 870 ruches individuelles) et 122 houblonnières (d’une superficie totale de 8 211 mètres carrés), selon l’organisme Cultive ta ville. 

En croissance

Entre 2019 et 2021, les inscriptions au DEC en gestion et technologies d’entreprise agricole du Cégep de Victoriaville (qui offre une formation en agriculture urbaine) ont plus que doublé. Malgré une popularité évidente chez les jeunes, le secteur voit son développement entravé principalement par la pénurie de main-d’œuvre, mais aussi par les lourdeurs administratives et les difficultés d’approvisionner les clients en temps opportun, selon le CRETAU.

La concurrence des produits provenant de l’extérieur du Québec (surtout ceux de l’Ontario et des États-Unis) et l’hégémonie des grandes surfaces constituent un frein majeur au développement de la filière.

En 2020, le maraîchage extérieur représentait 21 % de la production agricole urbaine québécoise, le cannabis et la pharmaceutique 20 %, les micropousses 13 %, le maraîchage intérieur 12 %, les insectes 10 %, les champignons 8 %, le solde étant surtout lié à l’apiculture, l’horticulture et l’aquaponie (système qui unit la culture de plantes et l’élevage de poissons), selon le CRETAU.

Où pratique-t-on l’agriculture urbaine au Québec? En zone industrielle (35 %), commerciale (15 %), résidentielle (12 %), institutionnelle (9 %) et même dans des parcs (7 %). Le quart des fermes urbaines sont des organismes sans but lucratif (OSBL). Montréal compte autant d’entreprises agricoles urbaines que… Paris.

Ahuntsic, fer de lance

Une carte des emplois de l’industrie agroalimentaire démontre clairement une concentration des emplois dans trois territoires montréalais: le centre-ville (qui abrite les entreprises technos de la filière), Ahuntsic, Saint-Laurent et Saint-Michel. Ainsi, Ville-Marie comptait 195 emplois, Ahuntsic-Cartierville 180, Saint-Laurent 160, Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension 140 et Rosemont–La Petite-Patrie 120, selon le recensement de 2016 de Statistique Canada. 

Mais ces chiffres sont déjà désuets, notamment depuis l’ouverture en 2019 de la Centrale agricole, rue Legendre. C’est cette année-là que l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville a autorisé les entreprises d’agriculture urbaine à s’implanter dans le secteur ouest du District Central. 

C’est une sorte de retour aux sources, alors que le secteur était autrefois occupé par le Marché Central, qui s’était installé sur un vaste terrain de 93 000 mètres carrés (un million de pieds carrés) à l’est du boulevard de l’Acadie, entre l’autoroute métropolitaine et les chemins de fer du Canadien National (au nord) et du Canadien Pacifique (à l’est). Les maraîchers avaient déserté le marché Bonsecours, dans le Vieux-Montréal, trop exigu pour l’explosion de l’industrie agroalimentaire qui devait nourrir la génération du baby-boom. 

Le Marché Central (et sa Place des producteurs) devint le plus important centre d’approvisionnement en fruits et légumes en gros dans l’est du pays. Les principaux clients sont les supermarchés, l’hôtellerie et la restauration. En 1992, la congrégation des Sœurs du bon Pasteur achète les terrains et lance la construction du centre d’achats actuel, malgré une fraude de 61 millions $ dont elles ont été victimes. En 2005, elles vendent le Marché Central pour 302 millions $ à la caisse de retraite du secteur public de la Colombie-Britannique. En 2020, la Place des producteurs déménageait boulevard Pie-IX.

Aujourd’hui

L’histoire connaît sans cesse des retournements, car Ahuntsic est aujourd’hui un pôle en forte croissance de l’agriculture urbaine. Frappé de plein fouet par la délocalisation en Asie des emplois manufacturiers et la mondialisation, dans les années 1990, le secteur de la rue Chabanel, qui logeait autrefois l’épicentre de la mode au pays, se métamorphose depuis le début du millénaire. 

Les immeubles de grande taille qui abritaient autrefois des manufactures textiles accueillent aujourd’hui de plus en plus de sociétés technologiques, culturelles et manufacturières diverses. Dont des entreprises d’agriculture urbaine.

Agriculture urbaine: serres sur le toit d’un bâtiment d’Ahuntsic de la ferme Lufa. (Photo: courtoisie Lufa)

Ainsi, Lufa y a vu le jour en 2010 avec sa première serre de 4 000 mètres carrés (43 000 pieds carrés). La Centrale agricole a ouvert ses portes en 2019, avec 3 700 mètres carrés (40 000 pieds carrés) occupés par une vingtaine d’entreprises et 930 mètres carrés (10 000 pieds carrés) d’espaces cultivés sur le toit de l’immeuble, une superficie qui sera portée à 3 250 mètres carrés (35 000 pieds carrés) d’ici deux ans. 

La coop espère aussi agrandir ses installations jusqu’à 6 000 mètres carrés (65 000 pieds carrés), destinés à la production et à la recherche agroalimentaire circulaire. Elle permet présentement une cinquantaine de synergies industrielles d’écoconception, de recyclage, de valorisation et de consommation responsable, et compte une vingtaine de membres.

Individus et communautés

Outre l’incubateur et accélérateur de projets que représente la Centrale agricole, de nombreux projets se multiplient ailleurs dans l’arrondissement, notamment dans le secteur communautaire. Ou par les citoyens eux-mêmes.

Ainsi, dans des villes comme Montréal, Vancouver ou Portland, Oregon, environ 40 % de la population pratique l’agriculture urbaine, selon le consortium de recherches climatiques québécois Ouranos.

Des citoyens qui plantent un jardin sur leur terrain ou leur balcon, 71 % produiraient moins du quart de leur consommation personnelle en fruits et légumes, mais 45 % en produiraient assez pour partager leur production dans la région de Montréal, selon une étude de 2021 de cet organisme.

Les plantations de La Ferme de Rue au site Saint-Jude. (Photo: Éloi Fournier, archives JDV)

À Ahuntsic, des initiatives comme la Ferme de Rue, un organisme citoyen lancé en 2019 et qui loge sur les terrains de la paroisse Saint-Jude, permettent non seulement de lutter contre l’insécurité alimentaire, mais aussi de partager des connaissances en agriculture et de favoriser une alimentation saine.

Aujourd’hui, cette microferme de quartier cultive 557 mètres carrés (6 000 pieds carrés) de terrain, autrefois occupé par du gazon, du béton et de l’asphalte. Elle remet une partie de sa récolte à des organismes de lutte contre l’insécurité alimentaire.

Enfin, l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville compte huit sites de production de cultures solidaires. Autant d’initiatives qui pallient le phénomène des déserts alimentaires, ces quartiers défavorisés situés à plus de 10 minutes de marche d’une épicerie offrant une bonne variété d’aliments sains. Plus de la moitié des zones résidentielles de Montréal seraient des déserts alimentaires, selon une enquête du quotidien Le Devoir de juillet dernier. À ce chapitre, Ahuntsic-Cartierville est l’un des territoires les plus défavorisés de la métropole.

Cet article est paru dans la chronique urbaine de quartier du Mag papier, la version imprimée du Journal des voisins, édition avril-mai 2023, à la page 16.

Il fait partie du Dossier Agriculture urbaine, duquel plusieurs autres articles sont reproduits. 

1- Ahuntsic, premier de classe en agriculture urbaine!

2- LN Saint-Jacques, DG de la Centrale agricole

3- La Centrale agricole: terreau fertile

4- Des nouvelles de la Ferme de Rue Montréal

5- Des jardins pour bien se nourrir à peu de frais 


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