De nombreux citoyens ignorent que les «ruelles» qui jalonnent le territoire d’Ahuntsic-Cartierville ne sont pas toutes publiques. Celles qui sont publiques sont strictement règlementées par la Ville, mais ce n’est pas le cas, à l’heure actuelle, pour les autres: c’est le Far-West pour les «ruelles» privées, même si elles ne représentent qu’une infime partie des ruelles du territoire. Des résidants d’Ahuntsic-Cartierville l’ont appris à leurs dépens. Et si l’arrondissement sait maintenant combien son territoire compte de ruelles (ou de portions de ruelles, ou de terrains enclavés à l’apparence de ruelles) au total, la Ville de Montréal, quant à elle, l’ignore!
Deux histoires récemment rapportées dans le JDV concernant deux «ruelles» privées du district d’Ahuntsic, l’une au nord d’Henri-Bourassa, entre St-Laurent et Grande-Allée, et l’autre au sud de Prieur, entre St-Laurent et Clark, ont incité votre média à s’intéresser plus en profondeur à la question des ruelles de l’arrondissement.
Les ruelles publiques sont certes beaucoup plus nombreuses. Elle sont parfois utilisées par les résidants eux-mêmes qui s’approprient un bout de terrain au fond de leur jardin arrière pour agrandir leur terrain. Certains font des démarches juridiques pour acquérir cet ajout à leur terrain et ainsi légaliser l’appropriation du terrain en question. Les ruelles sont parfois ouvertes à tous pour que piétons, cyclistes et voitures y circulent. Elles sont aussi parfois converties en ruelles vertes à la demande des riverains, avec l’assentiment et la collaboration de l’arrondissement et de Ville en vert, ou de la Ville-centre.
Tandis que les ruelles privées appartiennent à des individus de Montréal ou d’ailleurs ou à des entreprises de Montréal ou d’ailleurs. Il peut aussi s’agir de portions de ruelles, ou de terrains s’apparentant à une portion de ruelle (c’est le cas du lot en cause entre Grande-Allée et Saint-Laurent, au nord d’Henri-Bourassa, selon la mairesse Émilie Thuillier interviewée par le JDV mardi 5 octobre).
Par ailleurs, certains des propriétaires de ruelles privées sont aux abonnés absents et quelques-unes appartiennent au Curateur public. D’autres propriétaires de ruelles privées n’ont pas payé leurs taxes foncières depuis des lustres et la propriété s’achemine vers une vente à l’encan. D’autres proprios de ruelles privées encore utilisent leur ruelle pour leur usage personnel, parfois commercial. D’autres, finalement, s’en servent pour faire un coup d’argent… Et fait étonnant: la Ville-centre ignore combien il y a de ruelles privées (ou de portions de ruelles, ou de terrains s’apparentant à une ruelle) sur le territoire montréalais.
Pas de registre
Selon un porte-paroles de la Ville-centre, Guillaume Rivest, Montréal ne tient pas de registre de l’ensemble des ruelles de son territoire.
«Pour répondre à votre demande d’information, la Ville de Montréal ne tient pas un registre comptabilisant le nombre de ruelles publiques et privées sur son territoire. (…).»
Au chapitre des responsabilités, la Ville-centre délègue une partie de ses responsabilités, quant aux ruelles publiques, aux arrondissements.
«La compétence administrative des ruelles, propriétés de la Ville, relève des arrondissements.»
Journaldesvoisins.com a demandé à l’arrondissement si ce dernier avait son mot à dire dans une vente de ruelle privée.
« L’arrondissement n’est pas impliqué lors de la vente d’une ruelle privée (d’un propriétaire privé à un autre propriétaire privé) sauf lors d’opération cadastrale», a répondu Annie Brouillette, chargée de communication pour l’arrondissement.
Donc, pas de registre global pour toutes les ruelles de Montréal, ni de règles pour la revente d’une ruelle privée (ou portions de ruelles), mais des règles existent pour les ruelles publiques.
Et les règles sont sévères pour qui outrepasse ses droits quant aux ruelles publiques…
«Les ruelles, propriétés de la Ville, sont inscrites au registre du domaine public de la Ville. Aucune occupation ou obstruction d’une ruelle n’est permise et conséquemment il n’existe aucune possibilité de droit acquis pour une telle occupation ou obstruction. Un signalement à la Ville peut être fait en communiquant avec le 311», a précisé le porte-parole de la Ville-centre.
Historique des ruelles
Le phénomène de la vente des ruelles aux riverains ou à des compagnies à numéros était courant à Montréal il y a une trentaine d’années.
Les temps ont changé, mais les compagnies de chauffage –pour livraison du mazout par les cours arrières– étaient particulièrement actives dans l’achat de ruelles.
Des entreprises d’utilités publiques comme Bell, Hydro-Québec, Vidéotron, peuvent aussi avoir à se servir des ruelles pour effectuer les travaux à l’arrière des logis et résidences. En outre, les ruelles pouvaient également servir à d’autres usages.
« Autrefois, la cueillette des ordures se faisait par les ruelles », souligne Danielle Pilette, professeure en gestion municipale à l’Université du Québec à Montréal. « Le secteur privé avait aussi un rôle important à jouer. À l’époque, les gens se chauffaient beaucoup à l’huile, et les livraisons se faisaient par les ruelles.»
Une autre problématique est celle de la répartition de l’espace, certains propriétaires luttant pour les terrains des ruelles lorsque celles-ci étaient privatisées.
« C’était une grande source de conflits entre voisins », confirme Mme Pilette.
Un citoyen, et Ahuntsic-Cartierville, novateurs
Ceci dit, il est donc impossible de savoir combien il existe de ruelles privées. Toutefois, il y en a!
En 2015, l’arrondissement a fait faire un travail de bénédictin par une étudiante à la maîtrise en architecture du paysage qui a identifié, photographié et annoté un document de travail incluant chacune des ruelles du territoire d’Ahuntsic-Cartierville, qu’elles soient privées ou publiques: La caractérisation des ruelles.
Ce volumineux document –qui n’a pas été rendu public– permet de savoir combien l’arrondissement compte de ruelles publiques et de ruelles privées.
À l’origine de ce document d’importance colligé par cette étudiante à la maîtrise, il y a eu d’abord, en 2011, un rapport fait à titre personnel et bénévole par un citoyen du Sault-au-Récollet, Daniel Vinet, sur les usages des ruelles d’Ahuntsic-Cartierville.
Pour produire son rapport, M. Vinet avait d’abord marché à travers les différentes ruelles du territoire. Son but?
«Le présent rapport tente de faire un inventaire et une classification des ruelles de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville. Il vise ainsi à donner un aperçu du »phénomène » des ruelles dans cet arrondissement, de son importance et de sa localisation», peut-on lire en introduction du document établi par Daniel Vinet.
M. Vinet considérait cet inventaire essentiel «compte tenu, écrivait-il, du regain d’intérêt des citoyens pour cet espace public de proximité». Faisant valoir que plusieurs citoyens cherchent à se réapproprier l’usage de leur ruelle pour toutes sortes d’activités, Daniel Vinet signale que les riverains redécouvrent que leur ruelle peut être un lieu de rencontre, d’échanges et de socialisation.
«Que ce soit pour les jeux des enfants, la promenade des chiens, les fêtes, les pique-niques, les « épluchettes » de blé d’inde ou l’expression de talents artistiques dans des murales, la ruelle ne cesse de surprendre et de favoriser l’expression de la vie », écrit Daniel Vinet.
Pour ce citoyen, cette réappropriation de l’usage des ruelles par les résidents favorise les liens entre eux et augmente leur sentiment d’appartenance à une communauté. De plus, une ruelle utilisée plutôt que partiellement laissée à l’abandon ou dans un état de malpropreté augmente le sentiment de sécurité.
Ce rapport, établi en toute bonne foi par un citoyen ordinaire, classait les ruelles en quatre catégories: les ruelles d’utilité résidentielles, les ruelles d’utilité commerciales, les ruelles, les ruelles résidentielles pavées, et les ruelles résidentielles non-pavées.
On peut, sans se tromper, affirmer que le travail fait par Daniel Vinet fut à l’origine du concept des premières ruelles vertes de l’arrondissement. Et que le document de travail subséquent de l’arrondissement sur la caractérisation des ruelles a permis de savoir combien l’arrondissement comptait de ruelles privées, et de ruelles publiques.
Vente de ruelles: riverains pas informés
Ahuntsic-Cartierville compte donc 221 ruelles, tout statut confondu, selon que l’on considère des portions de ruelle, des terrains, et des ruelles, dont certains font double-emploi (publiques et privées).
De ce nombre, sur tout le territoire, environ une vingtaine seraient des ruelles privées ou des portions de ruelles privées (ou des terrains s’apparentant à des ruelles). La majorité des ruelles privées se retrouvent dans le seul district d’Ahuntsic: il y en aurait 16 sur les 24 ruelles privées de l’arrondissement.
Encore aujourd’hui, un propriétaire privé n’a aucune obligation d’informer les riverains de sa ruelle s’il veut la vendre à un autre propriétaire privé, même si cette ruelle existe depuis longtemps et que les riverains en font usage régulièrement et quotidiennement. Ce fut le cas pour le terrain en litige s’apparentant à une portion de ruelle entre Grande-Allée/Saint-Laurent, au nord d’Henri-Bourassa, et ce fut le cas sur la ruelle Clark/Saint-Laurent, au nord de Mongeau.
Selon le porte-paroles de la Ville de Montréal, la Ville n’a pas de responsabilité à cet égard.
«Les ruelles privées sont, dans la plupart des cas, des biens immobiliers non réclamés et gérés par le Curateur public du Québec sous la responsabilité de Revenu Québec. La Ville n’a aucune responsabilité quant à l’occupation, la gestion et les transactions immobilières de ces ruelles privées. Les propriétaires riverains qui désirent acquérir la partie de la ruelle privée limitrophe à leur propriété peuvent en faire la demande auprès de Revenu Québec. De plus, et à de rares occasions, il se peut que la Ville se porte acquéreur d’une ruelle privée. »
À la suite de notre article publié tout récemment sur l’histoire des riverains de la ruelle Grande-Allée/Saint-Laurent, une lectrice s’étonnait justement que les propriétaires riverains des ruelles ne soient pas informés de la vente d’une ruelle privée quand celle-ci change de propriétaire.
Maître Jean Hétu, un avocat spécialisé en droit municipal interviewé récemment par le JDV, mentionnait que la vente de ruelles à l’encan pour défaut de paiement de taxes doit être publiée au même titre que la vente de propriétés résidentielles ou commerciales mises à l’encan pour défaut de paiement de taxes.
«Justement, j’ai découpé récemment pour montrer à mes étudiants (NDLR: dans son cours de droit municipal) un avis de la Ville de Montréal avec toutes les propriétés qui sont en défaut de paiement de taxes foncières…», a-t-il déclaré au journaldesvoisins.com.
En cas de défaut de paiement de taxes foncières sur une ruelle privée (ou une portion, ou un terrain), la Ville-centre en est informée, puisque, éventuellement, l’objet en question est vendu à l’encan. (article 513 de la Loi sur les cités et villes) pour que la municipalité puisse récupérer la valeur des taxes foncières.
Mais tout cela se fait aussi sans que les riverains de la ruelle et des alentours ne soient au courant, à moins d’avoir lu l’avis public des ventes à l’encan dans un média parmi une quantité importante de lots répertoriés. Un chat y perdrait ses petits!
Donc, les ventes de ruelles à l’encan pour non-paiement de taxes foncières sont annoncées dans certains médias par des avis publics, mais il semble que la communication s’arrête là!
Les ventes de ruelles privées (en règle avec la Ville pour le paiement de taxes) n’ont pas, selon les règles actuelles, à être communiquées ni aux résidants, ni à l’arrondissement, ni à la Ville-centre, autrement que par les changements qui sont apportés au Rôle foncier à la suite des contrats notariés qui doivent nécessairement être établis.
Une fois réglé le dossier du terrain s’apparentant à une portion de la ruelle St-Laurent/Grande-Allée, la mairesse de l’arrondissement, Émilie Thuillier, voudrait que soit étudiée cette faille dans la communication aux riverains, lors d’une vente à l’encan, soit corrigée.
«Comme élus, nous souhaitons apporter des améliorations à la loi afin que les riverains de ruelle privée soient mis au courant lors d’une vente aux enchères», a mentionné Mme Thuillier au JDV.
Toutefois, reste entier le problème des ruelles privées vendues de privé à privé, comme la ruelle entre Clark et Saint-Laurent, entre Prieur et Mongeau.
Vente de ruelles publiques: très encadrée
Pour les ruelles publiques, c’est différent. La Ville exige des justifications lorsqu’un particulier veut acheter une ruelle publique.
« Pour régulariser certaines situations, et à certaines conditions, la Ville de Montréal peut céder aux propriétaires riverains ses droits de propriété sur une ruelle. La Ville créera dans l’emprise, le cas échéant, une servitude d’utilités publiques (aux fins de pose, de maintien et d’entretien des services). »
Le site énumère aussi des conditions d’admissibilité pour l’achat des ruelles publiques.
Un formulaire est disponible également pour l’achat d’une ruelle publique.
Ce que l’on ne trouve pas sur le site de la Ville, ce sont des informations pertinentes concernant les ruelles privées.
Ruelles, pas toutes vertes…
À l’heure actuelle, alors que l’arrondissement et la Ville-centre veulent développer le réseau des ruelles vertes, il est possible de le faire seulement sur les ruelles qui sont publiques.
Les ruelles privées pour leur part –et à moins que l’arrondissement ou la Ville-Centre n’en fasse l’achat– ne sont pas susceptibles de devenir des ruelles vertes. Encore là, un »gentil » propriétaire pourrait décider de la céder aux riverains de la ruelle ou de leur vendre pour pas cher!
Ce qui fait que, de façon générale et à l’heure actuelle, le réseau de ruelles vertes s’arrête là où commencent celles qui sont privées! On pourrait faire un jeu de mots et dire que les citoyens ont des chances d’être »privés » de leurs ruelles un jour, quand celles-ci appartiennent à des particuliers…
Si une compagnie possède encore une ruelle aujourd’hui, il semble qu’il soit aisé pour un particulier d’en faire l’acquisition…
Ruelles vertes, mais pas privées
Pour ce qui est des ruelles appartenant à la Ville de Montréal, les ruelles vertes sont maintenant privilégiées au lieu de la vente aux riverains.
« La Ville a moins tendance à privatiser les ruelles; elle cherche plutôt à les mutualiser. On permet aux riverains de verdir les ruelles et même de les bloquer d’une manière semi-permanente», mentionne Danielle Pilette.
Mais la vingtaine de ruelles privées de l’arrondissement ne pourraient pas devenir des ruelles vertes–à moins d’être achetées ou expropriées par la Ville ou l’arrondissement.
Deux ruelles dites privées sont passées d’un propriétaire privé à un autre propriétaire privé, récemment, et ce, sans que les riverains n’en soient informés ou que la Ville-centre ou l’arrondissement n’ait mis de l’avant la possibilité que la ruelle soit achetée par la Ville ou les riverains pour devenir une ruelle verte.
Dans les deux cas, ces tronçons de ruelles ont été vendus par des particuliers à des entrepreneurs et ils s’en servent pour les besoins de leur entreprise, ce qui est à tout le moins surprenant dans un secteur résidentiel.
Les ruelles vertes sont très tendance à Montréal. Ahuntsic-Cartierville incite d’ailleurs les citoyens à proposer que leur ruelle devienne une ruelle verte à travers son programme ad hoc. Si vous avez le goût de verdir la ruelle derrière chez vous, sachez que seules les ruelles publiques, c’est à dire appartenant à la Ville de Montréal, sont admissibles à ce programme. Les ruelles privées, elles, ne le sont pas.
Riverains inquiets
Le sort de riverains de ruelles privées repose alors parfois entre les mains de propriétaires-acquéreurs qui n’ont pas nécessairement à cœur les intérêts de la collectivité, mais plutôt leurs propres intérêts.
Mais tout n’est pas si simple, selon la mairesse d’Ahuntsic-Cartierville, faisant valoir que plusieurs juristes peuvent avoir des interprétations différentes de la loi. En outre, souligne Mme Thuillier, faire ces démarches avec le contentieux de la Ville-centre, ou les servides de bureaux externes d’avocats, pourraient coûter cher aux contribuables.
Nombreux sont les riverains qui ignorent si la ruelle derrière chez eux est privée, ou publique. Des riverains inquiets ont même écrit tout récemment au JDV pour en savoir plus, craignant une mauvaise surprise.
Comme ce ne sont pas tous les citoyens qui maîtrisent l’art de chercher (et trouver) dans le registre foncier du Québec, et que le JDV ne peut assurer ce service pour tous, renseignements pris auprès de la première magistrate de l’arrondissement, voici ce qu’Émilie Thuillier leur conseille de faire:
«Écrivez à vos élus si vous désirez savoir si votre ruelle (ou portion de ruelle) est privée ou publique», a dit Mme Thuillier.
Bien sûr, une maxime dit: Nul n’est censé ignorer la loi. Mais qui peut prétendre tout connaître des lois et règlements municipaux, comme la Loi sur les cités et villes, alors que les élus eux-mêmes apprennent à la dure quand un cas leur est soumis, comme celui du terrain s’apparentant à une portion de ruelle entre Grande-Allée et Saint-Laurent, au nord d’Henri-Bourassa.
Au moment de publier ces lignes, l’arrondissement cherche encore une solution `pour les citoyens de la portion de ruelle (ou du terrain) Grande-Allée/Saint-Laurent, avec les fonctionnaires de l’arrondissement et le contentieux de la Ville-centre. Dans l’intervalle, les riverains devaient rencontrer lundi en début de soirée la candidate d’Ensemble Montréal, Chantal Huot, à ce sujet. Finalement, pas de nouvelles du côté de l’injonction demandée par un avocat. En outre, vérification faite ce matin, il n’y a ni clôture, ni poteaux installés pour le moment par le nouveau proprio.
À suivre.
Avec la collaboration d’Éloi Fournier et Philippe Rachiele.
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Très bon article. Une correction s’impose: une ruelle laissée à l’abandon ou dans un état de malpropreté augmente le sentiment de INsécurié.