Pauvreté Zone RUI Laurentien-Grenet
L’image de la RUI c’est souvent des logements insalubres. Il y’en a d’autres à Ahuntsic-Cartierville. (Archives, JDV)

Un logement du secteur Laurentien-Grenet est infesté de coquerelles depuis octobre. Sa locataire, enceinte de sept mois, mère de trois enfants, doit encore recourir au service d’un exterminateur. Mais la lourde tâche de devoir vider l’appartement, déplacer tous les meubles, est trop exigeante pour elle seule. Elle n’en a plus envie, elle est découragée.

Elle finira probablement par déménager. Le roulement est continu dans les immeubles insalubres de ce secteur de Cartierville où les locataires restent rarement plus de cinq ans.

Lorsque Jessica Dumervil, agente de milieu du Comité logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC), responsable du projet Zoom sur l’insalubrité, entre dans certains immeubles de la RUI Laurentien-Grenet, elle peut déjà apercevoir des coquerelles se promener dans les aires communes. Elle voit la moisissure sur les murs des appartements. Elle sent les odeurs fortes d’excréments de coquerelles. Elle se fait raconter des histoires d’horreur d’enfants mordus par des rongeurs ou de locataires se faisant voler par leur propriétaire. Elle est témoin de la misère humaine, de la déprime, de la détresse de ces locataires, nouveaux arrivants au pays, et n’arrive pas à croire que l’on puisse vivre, au Québec, dans de si exécrables conditions.

« Les propriétaires font du profilage dans leur choix de locataires, explique-t-elle. Ils ciblent les nouveaux arrivants qui ne connaissent ni les lieux, ni leurs droits, et qui ne sont pas éduqués. Ces locataires ne comprennent pas que Montréal n’est pas seulement Cartierville. Ils ne connaissent qu’ici. Leur communauté y est déjà installée, la mosquée n’est pas trop loin. Aller ailleurs leur ferait trop peur. Les propriétaires sont conscients de cela. Ils jouent beaucoup sur la peur, l’intimidation et les menaces pour éviter d’avoir des plaintes. »

Projet Zoom sur l’insalubrité

Le projet Zoom sur l’insalubrité est une initiative du CLAC en collaboration avec la Ville de Montréal, lancée en 2015, après qu’une intervenante communautaire scolaire ait remarqué que les élèves venaient souvent à l’école avec des coquerelles et qu’ une infestation de punaises de lit ait été diagnostiquée à l’école Louisbourg.

Le travail de Jessica consiste à visiter les locataires, en faisant du porte-à-porte, et à les informer de leurs droits de locataire. Elle leur demande ensuite s’ils considèrent que leur logement est insalubre. Souvent, les locataires répondent que oui. Elle remplit alors une fiche qu’elle transfère à la Ville de Montréal. C’est une des raisons pour lesquelles l’insalubrité est si bien documentée à Ahuntsic, ce qui n’est pas le cas dans tous les arrondissements de Montréal.

Le projet de Jessica permet d’exercer une certaine pression sur la Ville, les inspecteurs et les propriétaires. Dans quelques cas positifs, certains propriétaires ont rénové ou vendu leurs immeubles.

Plan d’intervention locale

« Le rapport du projet Zoom sur l’insalubrité de la fin 2016 présentait un résultat assez accablant », confirme Richard Blais, chef de la division Urbanisme, permis et inspection de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville.

La Ville a donc décidé de s’attaquer au problème d’insalubrité en créant, en février 2017, le Plan d’intervention locale en salubrité pour Ahuntsic-Cartierville. Un plan en six points que M. Blais nous a expliqué en détails.

  1. Améliorer la collaboration avec l’équipe du Plan d’action en salubrité de la Ville-centre  L’arrondissement délègue la responsabilité de treize des immeubles les plus touchés par le problème d’insalubrité à Montréal et bénéficie ainsi de plus d’inspecteurs.
  2. Modifier l’organisation du travail des inspecteurs. Avant 2017, quatre inspecteurs se séparaient le territoire de l’arrondissement. Aujourd’hui, ils sont six.
  3. Rattacher les requêtes au lieu,plutôt qu’au requérant. Auparavant, lorsqu’un locataire faisait une plainte, la plainte tombait lorsque le locataire quittait. Maintenant, l’arrondissement continue de travailler avec le propriétaire jusqu’à ce que le problème d’insalubrité soit réglé.
  4. Éliminer le télétraitement des requêtes. Ahuntsic-Cartierville a décidé d’éliminer une étape du traitement des plaintes, considérée comme une lourde perte de temps.
  5. Resserrer le délai minimum d’intervention. Les inspecteurs doivent dorénavant venir examiner le logement dans les cinq jours suivants la réception de la requête. Si c’est un cas de température trop basse, ils ont 24 heures.
  6. Recourir directement au service d’un gestionnaire parasitaire certifié aux frais de l’arrondissement. Ce dernier point est une innovation unique à l’arrondissement. Lorsqu’une plainte touche la vermine, les punaises ou les coquerelles, l’arrondissement envoie lui-même un gestionnaire parasitaire (exterminateur) sur place pour évaluer la situation sans délai au lieu de demander au propriétaire de retenir lui-même les services d’un tel professionnel pour confirmer si la plainte est fondée.

Résultats concluants ?

Si Richard Blais estime que le Plan d’intervention locale en salubrité fonctionne très bien et reçoit une bonne réponse de la part des propriétaires, Jessica du CLAC est moins convaincue. Elle se dit globalement insatisfaite des résultats du projet.

« La semaine dernière, j’ai eu sept plaintes pour un seul immeuble, mais ce n’est pas l’immeuble au complet qui a été traité. Le problème va donc nécessairement revenir », témoigne-t-elle.

Richard Blais explique qu’il faut qu’il y ait généralisation du problème pour qu’un immeuble soit transféré à la Ville-centre et traité dans son entièreté. Localement, dans l’arrondissement, on traite seulement les logements ayant émis la plainte.

« De plus, les inspecteurs ne font souvent qu’un seul traitement alors que les coquerelles sont très résistantes et qu’il en faut deux ou trois pour réellement se débarrasser de l’infestation », ajoute l’agente du CLAC, s’avouant frustrée par la situation.

Proprios: des peines plus sévères ?

Jessica souhaiterait que la Ville puisse en faire davantage pour remédier à ce problème, notamment en imposant des peines plus sévères aux propriétaires.

« La Ville n’émet pas assez d’avis d’infraction et les propriétaires en profitent pour continuer à louer leurs logements insalubres et continuent également de mal les entretenir.»

De son côté, Richard Blais dit que ce n’est pas en donnant des constats d’infraction que la situation va s’améliorer. Il prône plutôt la collaboration et le dialogue entre la Ville et les propriétaires.

« Si on donne des constats d’infraction, ça nous entraîne directement dans le système juridique, ce qui prend énormément de temps. Il peut s’écouler jusqu’à un an avant qu’une requête soit entendue en cour. On privilégie donc le dialogue. »

Le Plan d’action 2018-2021 pour des conditions de logements décentes

Dans le communiqué émis le 28 juin 2018 à l’occasion du lancement de son Plan d’action 2018-2021 pour des conditions de logements décentes, la Ville de Montréal s’est engagée à tripler le nombre d’inspections des logements d’ici 2021.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, reconnait l’importance du problème.

« Les situations d’insalubrité sont préoccupantes. Nous pouvons faire mieux à Montréal pour assurer une meilleure qualité des milieux de vie et des quartiers pour nos familles », a-t-elle déclaré.

Pour ce faire, la Ville entend s’appuyer sur cinq principes.

  1. Mieux identifier les problématiques de salubrité en développant des partenariats avec des organismes et groupes communautaires;
  2. Aider les propriétaires à identifier les problèmes à l’aide de stratégies d’intervention établies de manière conjointe;
  3. Soutenir l’amélioration des logements au-delà de la simple mise aux normes au moyen des programmes d’aide à la rénovation;
  4. Appliquer les outils coercitifs les plus efficaces selon le degré de non-conformité du logement et de collaboration du propriétaire;
  5. Soutenir et accompagner adéquatement les locataires dans leurs démarches relativement aux signalements des problématiques de salubrité.

À quelques jours du 1er juillet, date à laquelle de nombreux citoyens déménagent un peu partout à Montréal, comme on peut le constater, le dossier de l’insalubrité fait couler beaucoup d’encre. Les solutions ne sont pas simples, mais elles existent. Encore faut-il les appliquer dans la réalité de tous les jours. Pour Jessica Dumervil, du CLAC, il y a loin de la coupe aux lèvres.



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