L’itinérance, visible ou cachée, isole ceux qui la vivent. Pour s’en sortir, le travail est souvent une clé importante. Simone, Nancy, Marie et Raccoon participent à des projets basés sur le travail et portés par l’organisme RAP Jeunesse. Ils confient leurs parcours au Journal des voisins.
Basculer. Tous, sauf Marie, l’ont vécu. «J’ai rencontré la mauvaise personne. J’étais amoureuse, j’ai commencé à fumer à 29 ans, et je suis tombée dans la drogue à cause de lui. Au bout de 15 ans, il m’a laissée toute seule et c’est là que je me suis retrouvée à la rue», confie Simone.
Pour Nancy, c’est l’expulsion de son logement en novembre 2022, suivie du décès de sa mère. Celui que l’on surnomme «Raccoon» a quant à lui dû faire face à un cancer et à la perte de son emploi. Puis c’est le cercle vicieux: dettes, dépendance, perte d’estime, isolement social…
Pour leur permettre de renouer avec la société, sortir de leur marginalisation et changer leur image auprès du public, RAP Jeunesse a lancé deux projets autour du travail.
1- Le projet M.A.R.C. (Mouvement vers des alternatives rémunérées et constructives) propose des missions ponctuelles rémunérées.
2- Le projet de pair-aidance emploie une personne en situation de vulnérabilité pour intervenir auprès de ses pairs, d’une façon différente.
Sortir de l’isolement
Lancé en juillet 2023, le projet M.A.R.C. est un véritable succès. Il cumule plus de 300 heures de travail effectuées par des personnes en situation d’itinérance. Après chacune de leurs missions, les participants reçoivent une rémunération de 20 $ de l’heure, grâce à un financement de la Ville de Montréal.
«Au-delà de l’argent, cela permet aux participants de se remettre en action, de se sentir utiles et de changer le regard que les habitants portent sur eux. Il y a un véritable engouement, avec des personnes qui viennent spécifiquement le mercredi matin au centre de jour pour s’inscrire, donc on cherche des contrats», indique François Poulin, coordonnateur du projet.
À la rue depuis 25 ans, Raccoon connaît bien les intervenants sociaux de RAP Jeunesse. Lorsqu’il a découvert le projet M.A.R.C., il a immédiatement dit oui.
«On a créé un jardin nourricier au parc de Salaberry, juste devant l’école, avec des framboisiers, des fraisiers et plein d’autres plantes pour que les gens puissent ramasser des fruits. Les habitants du coin sont venus nous donner un coup de main avec leurs enfants; c’était vraiment super. J’ai aussi participé au nettoyage du boulevard Henri-Bourassa. Je reste dans la rue, donc ça ne me tente pas de la voir comme ça. Ça me tient à cœur et ça m’apporte une certaine fierté», confie l’ancien concessionnaire âgé de 55 ans.
Après 7 années d’itinérance, Simone, 55 ans également, est sortie de la rue. Depuis deux ans, elle vit dans son propre appartement avec Belle, sa chatte. Mais avoir un toit ne règle pas tout et la solitude lui pèse.
«J’ai sauté à pieds joints dans le projet pour m’obliger à sortir. J’ai rencontré plein de super beau monde grâce à ça, et j’ai même décroché un petit contrat de déneigement!» s’enthousiasme celle qui a une formation de barmaid et de massothérapeute. Après chaque bordée de neige, elle prend donc sa pelle et se met au travail. Ce contrat ne lui fait pas gagner grand-chose, mais lui permet d’avoir un objectif qui l’a fait sortir de chez elle.
À 44 ans, Nancy est dans une forme d’itinérance invisible. Celle qui travaillait auprès des personnes âgées vit depuis quelque temps chez une ancienne cliente. En échange, elle l’aide dans toutes les tâches du quotidien. Toutefois, Nancy rêve de retrouver un logement dans lequel elle pourrait recevoir ses enfants.
«Ce projet est très gratifiant; on participe à la vie du quartier avec de belles réalisations et ça fait rencontrer du monde», assure Nancy. Elle ajoute qu’elle pilote un recours au Tribunal administratif du logement pour contester son expulsion.
Malgré les difficultés, tous gardent le sourire et l’espoir de jours meilleurs.
Ne pas sombrer
Si Marie n’a pas connu la rue, elle sait que cela aurait pu lui arriver. La jeune Française de 27 ans a traversé l’Atlantique pour se sauver. «J’ai été diagnostiquée TDAH [trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité] et on m’a prescrit du Ritalin durant mes études. Ça marchait tellement bien que j’en prenais toujours plus pour étudier plus, et j’ai développé une dépendance. J’ai arrêté d’en prendre, mais comme beaucoup d’étudiants, je faisais la fête, je buvais… Lorsque j’ai pris un appartement, je me suis mise à boire seule et j’ai compris que j’avais un problème. La “bascule” n’est pas arrivée pour moi, mais elle aurait pu», admet-elle.
Marie a terminé deux maîtrises en psychologie et en criminologie avec brio, malgré ses problèmes de dépendance et une dépression infantile.
Diplômée, mais incapable de décrocher un travail en Belgique, où elle réside alors, elle décide de partir pour se protéger et prendre un nouveau départ au Québec. Ici, elle découvre RAP Jeunesse et la pair-aidance.
«L’idée de la pair-aidance est d’aller chercher une expertise expérientielle chez des gens qui utilisent leur vécu pour créer un lien avec les personnes que nous aidons», explique François Poulin.
Une véritable bouée de secours pour Marie, qui est embauchée à temps partiel pour aider les travailleurs sociaux au centre de jour, à l’Accès-Soir, à la gestion… «J’ai autant besoin de ce travail pour l’argent que pour rester occupée et loin de mes dépendances. Je me sers de mes études en psychologie pour offrir une écoute active à ceux qui en ont besoin. Je leur parle de mon expérience personnelle, et souvent ils se sentent plus à l’aise de se confier à moi», poursuit-elle.
En parallèle, Marie profite de son temps libre pour régler ses propres problèmes et réfléchir à son avenir. Elle envisage notamment de reprendre ses études.
Ce texte du dossier Itinérance a été publié dans la version imprimée du Journal des voisins de février-mars 2024 à la page 12.
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