L’itinérance à Ahuntsic-Cartierville. (Photo: Loubna Chlaikhy, JDV)

Le phénomène de l’itinérance frappe massivement Ahuntsic-Cartierville. Des dizaines de personnes sans-abri sont dans les rues, espaces verts et recoins plus ou moins visibles de notre territoire. Des campements apparaissent un peu partout.

Concrètement, il est impossible de connaître le nombre de personnes sans-abri qui circulent ou «habitent» chez nous. Le gouvernement du Québec a effectué un recensement en 1997 et un autre en 2018. Puis, le dernier, datant de 2022, fait état de 10 000 personnes sans domicile fixe, dont 3149 à Montréal seulement. Ces dernières années, le phénomène s’est étendu jusqu’à Val-d’Or ou Gaspé.

Mais les experts considèrent que ce nombre est loin de refléter la réalité. Il n’y a pas si longtemps, les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie représentaient l’essentiel de la population itinérante de Montréal.

Aujourd’hui, les Autochtones, les jeunes issus de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et les membres de la communauté LGBTQ sont surreprésentés chez les sans-abri de la métropole. 

Avec les années, la population itinérante a changé. On retrouve désormais des retraités, des couples et des familles dans la rue. On croise même des étudiants universitaires dans les soupes populaires et les refuges.

Les principales causes sont connues: la crise du logement (notamment la diminution du nombre de maisons de chambres et le manque de logements sociaux supervisés), l’insuffisance des ressources de première ligne et la montée récente de drogues opioïdes.

Les expulsions d’un logement (pour loyer impayé, plaintes ou rénovictions) représentent 23 % des causes de l’itinérance, suivi des troubles liés à la consommation de substances psychoactives (21 %), selon le rapport sur le Dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible au Québec de 2022 du ministère de la Santé et des Services sociaux, publié en septembre 2023.

Chez nous

Qu’en est-il d’Ahuntsic-Cartierville? Lors du dénombrement de 2018, on avait recensé… une seule personne itinérante dans l’arrondissement. Évidemment, les organismes communautaires ont contesté ce chiffre dès sa publication.

Dans un document préparé pour RAP Jeunesse en février 2022, on estimait que la population itinérante d’Ahuntsic (excluant Bordeaux-Cartierville, Sault-au-Récollet et Saint-Sulpice) se composait de 25 à 50 personnes. Le rapport mentionnait que ce nombre était possiblement plus élevé.

Un des visages de l’itinérance. (Photo: Leroy Skalstad, courtoisie de pixabay.com)

La majorité était des hommes (80 %) et la moyenne d’âge se situait entre 40 et 50 ans. Les intervenants de proximité ont constaté un vieillissement des personnes itinérantes.

Chez les femmes en situation d’itinérance, on signale de la violence systémique, qu’elles évoluent dans l’univers du travail du sexe ou non, rapporte RAP Jeunesse.

L’arrondissement compte un seul organisme qui dessert spécifiquement la clientèle itinérante, en offrant principalement des services psychosociaux. Ahuntsic-Cartierville ne compte aucun refuge d’urgence. Mais cette situation va changer, car un nouveau refuge devrait ouvrir en octobre prochain.

Depuis la pandémie, l’arrondissement a instauré une table de concertation qui regroupe ses représentants et ceux des organismes communautaires, du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal (CIUSSS-NIM), du service de police et des tables de quartier, afin de coordonner les services offerts à cette clientèle souvent difficile à desservir.

Depuis la COVID

La pandémie a tout changé dans l’arrondissement. Du jour au lendemain, plusieurs lieux fréquentés par des personnes en situation d’itinérance ont fermé ou étaient moins accessibles dans la métropole. En conséquence, nombre de sans-abri ont quitté les quartiers centraux.

Dans Ahuntsic-Cartierville, plusieurs campements sont apparus dans les espaces verts ou les terrains en friche, à des endroits où on n’avait jamais vu de tentes auparavant. Quelques-uns étaient situés dans les parcs, comme Saint-Alphonse ou Basile-Routhier.

Le démantèlement d’un campement, situé tout près du pavillon d’accueil du Parcours Gouin, le 22 juin dernier, a fait la manchette. Le Journal des voisins (JDV) avait publié en ligne le témoignage de quelques-unes des personnes qui campaient à cet endroit, juste avant leur éviction.

Regroupant initialement quelques campeurs, le site a pris de l’ampleur. La violence, la désorganisation, les déchets, les installations de systèmes de chauffage de fortune, la consommation intensive de drogues et les désordres causés par la maladie mentale ont fini par déranger le voisinage.

Comme ailleurs, les autorités municipales ont procédé à son démantèlement. Montréal a mené plus de 450 de ces démantèlements l’an dernier, la majorité (420) au centre-ville.

L’itinérance, selon notre caricaturiste, Martin Patenaude-Monette.

Se réfugier ailleurs

Un autre camp a été démantelé, derrière le mur de pierre de l’école Sophie-Barat, fin septembre. Ces opérations sont dénoncées par les intervenants de première ligne, car elles ne font que déplacer le problème. Les sans-abri vont s’installer ailleurs, dans des endroits plus discrets, où leur sécurité est souvent menacée.

C’est d’ailleurs pourquoi nous avons choisi de ne pas nommer les lieux où l’on retrouve les campements actuels dans l’arrondissement. Certains sont visibles de la rue, une majorité sont cachés dans des boisés, des terrains vagues ou sur les rives de la rivière des Prairies.

Outre les campements, le JDV a interrogé les intervenants du quartier, pour connaître les endroits populaires chez les personnes en situation d’itinérance: entrées chauffées de commerces ou d’immeubles, stations de métro, intersections achalandées, guichets bancaires automatiques, bibliothèques, restaurants de nourriture rapide…

RAP Jeunesse indique que la fréquentation de son centre de jour a vu sa fréquentation bondir en un an avec plus de 1000 visites supplémentaires, portant ce nombre à 2 482 visites en 2022.

Une collecte de dons a aussi été organisée jusqu’à la fin octobre pour les personnes en situation d’itinérance, avec les bibliothèques d’Ahuntsic et de Cartierville comme points de chute.

Enfin, nombre de personnes itinérantes sont qualifiées «d’invisibles». Elles vivent dans leur voiture (un phénomène plutôt rare sur notre territoire) et, surtout, sur le divan de proches (famille, amis, connaissances). Elles passent souvent sous le radar des autorités.

Un fait demeure: l’itinérance s’installe durablement dans Ahuntsic-Cartierville. Le dossier de l’édition imprimée du Journal des voisins, le Mag papier de février-mars 2024, se penche sur cette tragédie. Il rappelle que des ressources existent, tout comme la compassion de gens admirables, qui se préoccupent de personnes que la société semble avoir oubliées.

Nous reproduirons les autres articles de ce dossier dans les semaines à venir.

Ce texte du dossier Itinérance a été publié dans la version imprimée du Journal des voisins, le Mag papier de février-mars 2024, à la page 6.

Autres articles parus:

Les invisibles: être une femme dans la rue

Une présence de plus en plus marquée dans Ahuntsic-Cartierville

Un centre d’hébergement d’urgence bientôt à Ahuntsic

Vieillir dans la rue

Des intervenants sociaux dévoués sur le terrain

• Dossier Itinérance – Travailler pour exister: «Ça m’apporte une certaine fierté»

 



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